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En 1828, un vieillard, conduit à Bagdad par un pieux devoir, était agenouillé avec son fils, très jeune alors, dans une des chapelles à voûtes dorées consacrées à Sidi-Djelali. Un nègre qui survient tout à coup interrompt le pèlerin dans sa prière pour lui demander quel est le sultan de l’Algérie : — « Hélas ! répond l’étranger, il n’y a pas de sultan pour nous autres Arabes. » Le nègre alors annonce au vieillard que le règne des conquérans turcs va bientôt finir en Algérie, et que son fils réunira en qualité de sultan tous les Arabes de Moghob (de l’ouest). Ce nègre n’était autre que le saint patron de la chapelle ; le vieillard était le sage Mâhi-ed-Din, et le jeune homme celui qui a rendu si célèbre depuis le nom d’Abd-el-Kader. Quatre ans plus tard, en 1832, une partie de la prédiction était accomplie. Les Turcs, oppresseurs de l’Algérie, avaient été chassés par l’épée française. Dans cette catastrophe, les Arabes ne voyaient que le présage de leur propre affranchissement. Cependant, comme ils ne pouvaient s’entendre sur le choix d’un chef, l’anarchie paralysait leurs efforts. Un jour que les chefs de tribus et les marabouts se trouvaient rassemblés dans la plaine d’Eghrës, au sud de Mascara, sur le territoire de la tribu des Hachem, le saint de Bagdad apparaît à un marabout centenaire, nommé Sidi-el-Arach, et lui désigne comme le chef de l’insurrection et le sultan futur de l’Algérie le jeune guerrier à qui il avait déjà prédit l’empire. Avec cette soumission d’esprit qui caractérise le vrai croyant, Sidi-el-Arach rassemble aussitôt trois cents cavaliers, monte à cheval à leur tête, et va demander à Mâhi-ed-Din son second fils. Dans la même journée, l’homonyme du saint de Bagdad, le fameux émir Abd-el-Kader était accepté par tous les Arabes comme l’élu du ciel, et proclamé chef de la guerre sainte. Il est dans la ferme croyance des Arabes que, depuis cette époque, pas un seul jour ne s’est passé sans que l’émir reçût la visite de son protecteur céleste. Cette intervention respectée légitime toutes les mesures prises par Abd-el-Kader dans sa lutte contre les Français ou dans le gouvernement des indigènes. La même croyance populaire explique les facilités que l’émir a toujours trouvées dans la province d’Oran, où la confrérie du saint de Bagdad est nombreuse et puissante, et les obstacles que son autorité rencontre vers l’est, où d’autres influences religieuses prédominent.

Croirait-on que notre dangereux adversaire, en s’associant à une confrérie, n’ait pas fait choix de celle à laquelle il a dû son élévation ? Cette circonstance permettrait de supposer que le fanatisme religieux n’est qu’un voile jeté sur les plans du chef politique. La grande pensée mûrie par Abd-el-Kader dès son jeune âge est l’établissement d’une sorte de nationalité algérienne. Le moyen d’y réussir serait la fusion des deux races principales qui occupent l’Algérie, les Kabyles, habitans primitifs de la Mauritanie, et les Arabes conquérans de l’époque musulmane. Or, il est un ordre né en Algérie et vraiment national dans cette con-