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lutte d’ardeur et d’empressement dans une cause commune à toutes les nations, rien de plus désirable, de plus légitime ; mais c’est l’honneur de notre siècle d’avoir, sinon complètement répudié, du moins restreint cet esprit de jalousie basse et inintelligente toujours prêt à empêcher les autres d’agir au lieu de les imiter, et qui a tenu long-temps murée et engourdie l’active pensée de la société européenne. On ne peut toutefois méconnaître qu’il existe encore un levain du vieil esprit. Remise entre les mains des hommes, l’œuvre de la civilisation ne peut jamais être un pur apostolat ; il s’y mêlera toujours des préoccupations plus ou moins personnelles, des vues plus ou moins intéressées.

Un double motif, qui se rattache à cette considération générale, nous commande de suivre avec une vigilance attentive les accroissemens perpétuels de l’Angleterre. Ne serait-il pas possible d’abord que les moyens employés fussent illégitimes ? Ce n’est point calomnier le caractère anglais que de le croire assez envahissant de sa nature pour s’abandonner, loin de tous les regards, à d’injustes convoitises. Dans ce cas, l’opinion de l’Europe est un frein dont plusieurs faits récens ont démontré la puissance. Si, par exemple, après la lutte avec la Chine, les conditions du traité n’ont pas été plus exclusives et plus rigoureuses, je n’hésite point à l’attribuer à l’influence morale de l’opinion publique, qui avait hautement réprouvé la cause primitive de la guerre. Tout en reconnaissant combien il était utile d’ouvrir le vaste empire chinois, on se défiait à juste titre des pensées de cupidité qui avaient inspiré l’expédition. Cette même influence contient encore aujourd’hui le désir des Anglais de rester à Chusan ; on n’ose pas violer, à la face du monde, la foi des traités ; on est obligé de recourir à des subterfuges qui, nous l’espérons pour l’Angleterre elle-même, pour son propre honneur, n’aboutiront point à une indigne spoliation. Imposer une certaine réserve, sinon à l’esprit de négoce, toujours âpre, toujours absolu dans ses exigences, du moins à la politique du gouvernement qui les sanctionne, telle est la première raison qui doit nous engager à tenir les yeux ouverts sur les conquêtes coloniales de la Grande-Bretagne.

Nous en avons une autre qui nous touche plus directement. La France ne s’agrandit pas comme l’Angleterre, elle n’a rien à comparer aux colonies de nos voisins dans toutes les mers et à leurs progrès dans les Indes orientales. Aussi devrait-elle échapper aux défiances jalouses. Cependant, si elle croit conforme à ses intérêts de prendre possession d’un îlot perdu dans une mer lointaine, l’hostilité de l’Angleterre éclate aussitôt, comme si sa propre puissance allait être compromise. Que de difficultés étranges n’ont pas été soulevées au sujet de Taïti ! que de mauvais vouloir dans le gouvernement britannique ! Les îles Marquises même, et nos petits établissemens près de la côte nord-ouest de Madagascar, n’ont-ils pas excité dans la presse anglaise des sentimens peu