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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/752

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dans des recueils de mémoires, dans des récits de voyages, ces élémens divers perdaient beaucoup de leur valeur par leur isolement même, et souvent nous avons formé le vœu de les voir réunis et coordonnés. Mais, pour mener à bien une telle entreprise, il fallait autre chose qu’un savant ordinaire, quelque hors ligne que pût être son mérite. Ici, l’instruction la plus profonde demeurait insuffisante, si elle n’était aussi variée que solide. Il fallait être à la fois physicien, chimiste, astronome, naturaliste. À la connaissance d’une multitude de détails empruntés à toutes les sciences, il fallait joindre un esprit généralisateur capable de saisir facilement les rapports et de démêler les tendances générales au milieu de données encore incomplètes. Il fallait enfin, pour qu’un pareil ouvrage se présentât avec toute l’autorité désirable, que l’auteur pût parler au nom de son expérience personnelle, qu’il eût fait ses preuves comme observateur et expérimentateur de cabinet, qu’il eût vu et apprécié par lui-même les grands phénomènes dont il allait raconter l’histoire. On le voit, un essai de cosmologie positive exigeait un esprit à la fois doué des plus éminentes facultés, et préparé de longue main par une éducation scientifique spéciale. À ces divers titres, nous pouvons le dire sans crainte d’être démenti, nul n’était plus apte à entreprendre cette œuvre difficile que M. de Humboldt. Quelques détails sur la vie de ce savant illustre justifieraient au besoin ce que les personnes étrangères à l’historique de la science moderne pourraient trouver de trop absolu dans nos paroles.

Alexandre de Humboldt naquit à Tegel, à deux lieues de Berlin, en 1769, dans cette année mémorable où la France enfantait à la fois Chateaubriand, Cuvier, Napoléon. Son père était un de ces gentilshommes prussiens qui offrirent leur fortune entière à Frédéric-le-Grand pour soutenir les dépenses de la guerre de sept ans. Sa mère appartenait à une de ces colonies françaises que la révocation de l’édit de Nantes et les persécutions religieuses fondèrent en Allemagne, et qui, sur la terre étrangère, conservaient pieusement la langue de leur première patrie. Aussi, dès sa plus tendre enfance, le jeune Alexandre parla-t-il indifféremment le français comme l’allemand, et cette circonstance nous explique comment il a pu plus tard écrire dans ces deux langues avec une égale facilité.

Les premières années de M. de Humboldt furent remplies par des occupations aussi sérieuses que variées. Après avoir terminé son éducation classique sous la direction de Forster, naturaliste des expéditions de Cook, et à côté de son frère aîné, le célèbre philologue, il étudia d’une manière théorique et pratique l’art du mineur, et s’occupa de sciences naturelles, de physique, de chimie, de minéralogie, de technologie, d’astronomie. Il entra à l’école de Freyberg et s’y fit remarquer de telle sorte, qu’à peine âgé de vingt-trois ans, nous le voyons chargé de diriger