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étroite parenté entre Timon et Sybil. — Lucy (c’est le nom de la pauvre abandonnée) est l’enfant d’un amour mystérieux, sinon désavoué. Sa mère, humble et courageuse femme, si elle a été coupable (ce que nul ne sait), a expié sa faute par les durs sacrifices qu’elle s’est imposés non moins que par les enseignemens pleins de piété et de vertu qu’elle a donnés à son enfant. A peine celle-ci franchit-elle la distance qui sépare l’enfant de l’adolescence, que son unique soutien lui est ravi ; la maladie, puis la mort, viennent surprendre sa mère au milieu d’un dénûment absolu. Au dernier moment, l’agonisante appelle sa fille, et, le pardon sur les lèvres, meurt en suspendant au cou de Lucy un portrait, froide image dont les traits sont inconnus à l’orpheline, et qui pourtant rappelle ceux de son père. Trop atterrée par son désespoir pour comprendre au juste sa perte, la malheureuse enfant, à moitié folle, est chassée de sa pauvre demeure par des étrangers charitables, qui, en enlevant le corps de sa mère pour le jeter dans la fosse commune, lui donnent quelques sous et lui disent « de travailler, d’être honnête, et d’éviter la mauvaise compagnie. » C’est sur ce pavé dont elle ignore les honteuses coutumes, dans cette rue où elle n’ose point mendier, qu’elle est recueillie par Morvale. Arrivée au seuil de son nouvel asile, un chaste instinct l’avertit, et elle s’arrête. « Nous sommes ici chez ma sœur, » dit Timon, et la porte se referme sur tous deux. Morvale ou Timon, le héros du drame, a également son histoire, laquelle, pour être moins désastreuse, n’est pas moins de nature à le brouiller avec le genre humain. Né sur les bords du Gange, le père de Morvale n’eut du sang européen que par un côté, sa mère était Indienne. Le nombre de ses guinées lui valut une femme anglaise (la mère de Timon.), dont l’orgueil national déteste et repousse le sombre rejeton sur le teint duquel se lit la preuve de la race inférieure de son époux. Le père de Morvale est tué à la guerre ; sa mère se remarie aussitôt avec un Anglais, et, peu d’années, avant la mort de son second mari, met au monde une fille, pure et blanche comme la lumière. Sitôt son deuil fini, l’Européenne quitte l’Inde et laisse derrière elle le fils maudit dont elle a honte. Sans autre bien que son fusil, sans autre occupation que la chasse, l’enfant grandit, sombre et désillusionné. Cependant un vieil ami de son père laisse à Morvale une fortune presque royale. Durant bien des années, l’Indien court le monde, et partout en Europe voit que ses richesses mêmes ne l’empêchent pas d’être flétri tout bas du nom de paria. En vain il cherche à se rapprocher de sa mère, elle le chasse de chez elle. Un jour seulement, aux approches de la mort, elle lui écrit pour solliciter son pardon et pour lui léguer sa fille. Morvale, oubliant tout, part pour Florence, et ne trouve plus que sa sœur, la jeune et belle Calantha ; mais là aussi l’attend une cruelle épreuve. Le bel ange qui autrefois par ses naïves caresses ramenait la joie dans l’ame du pauvre enfant