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l’égoïsme de bien près, et ne se montre guère supérieur en cette circonstance aux gens les mieux élevés. Il néglige Arden, qui, n’ayant jamais pénétré dans l’intérieur de Morvale, ignore le bonheur de son ami, et oublie Calantha. Un soir, qu’ils sont assis tous deux à causer près de la fenêtre, Morvale demande à Lucy si elle n’a gardé aucun souvenir de son père. « Aucun, répond la jeune fille, mais voici ce que ma mère m’a légué en mourant. » À ces mots, elle tire de son sein une lettre et un portrait, et, les confiant à son amant, glisse hors du salon comme une ombre. Morvale ouvre le médaillon. Un coup d’œil suffit, il a reconnu Arden ! La lettre, signée Mary, porte sur son enveloppe le nom dont s’appelait le noble pair avant d’hériter du titre de ses aïeux. L’Indien est perdu dans les mille pensées contradictoires où le plonge la vue de ce portrait, lorsqu’un cri effroyable le réveille. Il se retourne, et voit Calantha pâle et les feux hagards. Le portrait d’Arden semble la fasciner, et, après quelques paroles incohérentes, elle tombe inanimée aux pieds de son frère, qui a tout compris. Arden, le père de sa fiancée, est celui qui a déshonoré sa sœur. Calantha, fleur déjà brisée, ne peut résister à ce dernier choc ; elle se courbe sur sa tige et meurt. Sitôt après, un mot de Morvale amène Arden dans la demeure de l’Indien. Le comte retrouve sa fille, et en même temps reconnaît, dans celui qui allait devenir son époux, le frère de Calantha et son ennemi mortel. Rien de plus naturel que l’attitude de Lucy, partagée entre le désir de consoler son amant et celui de s’assurer les caresses paternelles. Morvale est foudroyé ; le sauvage, auquel la vengeance est défendue, courbe la tête ; mais, sur un mot de Lucy, Arden, oubliant le passé, s’empresse de reconnaître les droits de l’Indien à la main de sa fille. Morvale se redresse morne et sombre, et prenant la main de celle qu’il aime plus que la vie : « Demande-toi, lui dit-il en désignant lord Arden, si le frère de la morte Calantha peut sans crime solliciter sa bénédiction et épouser son enfant ! » À ces mots, Morvale disparaît, et dans Londres on n’entend plus parler de lui.

Nous ne parlerons pas de la dernière partie du New Timon, parce que, à notre sens, le poème finit lorsque lord Arden retrouve sa fille, et que l’union de Lucy avec son amant est rompue. Que Morvale se laisse convertir aux saintes vérités de la morale chrétienne, qu’il abjure la vengeance, qu’il sauve la vie même à son ennemi, et qu’à la mort d’Arden il épouse Lucy, tout cela est une espèce de hors-d’œuvre, et diminue au lieu d’augmenter l’intérêt que nous ont inspiré les personnages du drame. La mort ne saurait détruire un fait accompli. Arden dans son tombeau ne cesse pas pour cela d’avoir causé la ruine de Calantha, et, qu’il vive ou qu’il meure, Morvale ne saurait épouser la fille du bourreau de sa sœur. Dans la prochaine édition qu’il publiera de son œuvre, l’auteur du New Timon fera bien de retrancher la quatrième