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moins pur, imprudent jusqu’à l’audace, mais répugnant à toute petitesse ? »

Certes, les grands arbres du park voient passer tous les jours sous leurs ombrages bien d’autres figures historiques faites pour tenter le crayon : lord Lansdowne, lord Grey, lord Morpeth, le duc de Buckingham, le paresseux Melbourne, le spirituel Normanby, le redoutable Brougham, l’aimable Lyndhurst. — Il y aurait de quoi se composer une galerie. Et les femmes ! — En Angleterre, les old ladies et les young - ladies, les ladies enfin de tous les âges et de toutes les classes, s’intéressent infiniment plus à la politique et aux discussions parlementaires qu’en France. Que de fois nous avons vu à la chambre des lords la loge qui pour l’instant supplée à la galerie des pairesses, la petite loge de sir Augustus Clifford, garnie d’amazones attentives aux débats, et dont les chevaux et les grooms attendaient patiemment dans Palace-Yard ! Nous prévoyons tout le dédain que ceci doit exciter chez ces esprits chagrins qui font profession de n’admirer que la femme superficielle et futile, l’absolu féminin, comme on dit en Allemagne ; mais qu’ils se rassurent : les Anglaises ne s’occupent pas toutes de politique, et l’oisiveté élégante est presque autant en honneur à Londres qu’à Paris. Oh ! si, quand le soleil jette ses rayons obliques sur l’arc de triomphe de Knightsbridge, vous voyez certaine calèche d’un goût exquis, mais sévère, prendre la route de Piccadilly à Berkeley-Square, vous pouvez bien jurer que, des deux femmes qui s’y trouvent, ni l’une ni l’autre ne se préoccupe du corn-bill. Nous ne savons à quoi peut penser la belle Sarah, comtesse de Jersey, que Byron a comparée à Diane ; mais à coup sûr la jeune lady Clem (autrement nommée lady Clémentina Villiers) pense à sa dernière valse ou à la prochaine réunion au palais de la reine. Blonde nymphe à la figure d’Ondine, que coiffent si bien les glaïeuls et le corail, pourquoi penserait-elle à autre chose qu’à sa beauté ? pourquoi altérerait-elle la sérénité divine de son front au contact d’une pensée sérieuse ? Qu’elle danse et rende amoureux tous les lords de l’Angleterre ; les colibris ne peuvent être des aigles, ni les willis des Marie-Thérèse. Mais regardez ce coupé qui gagne le Park-Corner accompagné de quelques personnes à cheval. A qui ce port d’impératrice, ce front de Junon, cet œil d’aigle, que tout le monde croit se rappeler, tant il a rayonné à travers l’histoire ? C’est l’œil fier et brillant de Canning dans la tête de sa fille, lady Clanricarde, l’héritière de son caractère et de son génie. Pour ceux-là, le but est indiqué ; ils vont vers Westminster. Et cette jeune écuyère qui, entre son mari et son père, caracole à la portière de la marquise ? Svelte créature à la taille souple et aux yeux bruns, dont le poignet délicat semble trop faible pour maintenir l’élan de son fougueux destrier, c’est la petite fille d’un des plus grands ministres que l’Angleterre ait jamais eus. Devant eux trottine le chef actuel des whigs, « le calme Johnny, qui fit