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second supérieur. A sa seule vue, une ombre se répandit sur mon esprit… Je sentis un choc semblable à celui de l’électricité, et un pressentiment qui semblait dire à mon cœur que je ne pourrais vivre avec un homme qu’il m’était impossible d’estimer et d’aimer. »

M. Steinmetz est aussi expéditif dans ses jugemens que dans ses conversions.

Le pressentiment ne fut pas trompeur. Les novices ayant un jour reçu l’ordre de se confesser au père ministre, M. Steinmetz vainquit ses répugnances et obéit.

Ma confession, dit-il encore, ne dura que quelques minutes, le ministre me donna l’absolution. Je me levai, déterminé à quitter le noviciat. » Tout cela n’est pas très lucide : si la confession faite au père ministre fut complète, celle qu’on fait ici au lecteur semble laisser quelque chose à désirer. Il faut néanmoins absoudre aussi l’auteur. M. Steinmetz paraît être un de ces hommes qu’on doit juger par leurs sentimens plutôt que par leurs actions. C’est une ame souffrante, maladive, essentiellement candide et enthousiaste ; c’est, si j’ose le dire, une intelligence nerveuse. Épris d’amour pour l’idéal qu’il rêve, il a le tort de vouloir le convertir en une réalité impossible. Il a cru que ses supérieurs devaient être des anges ; il les fuit avec dédain dès qu’il reconnaît que ce ne sont que des hommes. L’opinion que nous osons émettre sur son caractère est confirmée par le certificat un peu brutal du directeur de Cuthbert’s college, où M. Steinmetz avait fait ses études littéraires. « En l’absence de toute faute morale, dit-il, ce jeune homme a donné des preuves d’une extravagance mentale considérable ; impatient de toute discipline… »

Nous nous apercevons que nous parlons beaucoup trop longuement d’une individualité estimable peut-être, mais à coup sûr peu importante. C’est le défaut du livre que nous avons sous les yeux. Toute la première partie a pour objet de nous faire assister à la vie intérieure et aux exercices de piété d’un novice. Or, il n’est pas permis à tout le monde de convier le public au spectacle de son ame. Il faut pour cela s’appeler Augustin, sainte Thérèse ou Jean-Jacques. S’il ne s’agit que de nous faire savoir l’ordre du jour d’un religieux et le menu de sa dévotion, trente pages devraient suffire.

C’est des jésuites que nous voudrions entendre parler. Or, que nous apprend sur leur compte l’auteur du Novitiate ? Ce que personne n’ignore : les exercices de Loyola, le chapelet, les litanies, l’espionnage organisé, l’obéissance passive, absolue, pareille à celle d’une cire molle, d’un cadavre, d’un bâton dans la main d’un vieillard ? Qui n’a lu tout cela mille fois mieux exprimé dans ce que M. Steinmetz appelle « les hallucinations parfaitement françaises de M. Michelet ? »

Le fait est que l’auteur, arrêté aux premières marches de l’autel, n’a rien vu de particulier, et par conséquent n’a rien à dire d’important. Les jésuites sont trop habiles pour afficher leurs secrets à la porte de leur noviciat. L’auteur constate lui-même qu’une de leurs plus adroites manœuvres est d’exiger de la plèbe de l’ordre la sincérité, la dévotion, la vertu, sûrs d’en tirer bon parti, grace au tout-puissant levier de la « sainte obédience. »

Pour compléter le volume et s’élever à des observations plus générales, M. Steinmetz analyse, dans une seconde partie, la vie d’Ignace de Loyola, que personne n’ignore, les constitutions des jésuites que tout le monde a entre les mains, l’histoire de la société, si bien écrite ici même par M. le comte de Saint-