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— Laquelle ? dit l’administrateur en faisant un soubresaut dans son hamac.

— Celle de vous apporter vous-même à mon général, dit Ochoa, car je lui avais promis de lui livrer ou le trésor ou l’administrateur de la douane.

— Vous voudrez bien me donner un reçu, capitaine, j’espère ?

— Comment donc ! mais c’est trop juste ; je crains seulement que ma signature ne soit de bien mince valeur. Ah ! seigneur administrateur, j’ai été étrangement calomnié dans ce pays !

L’administrateur, après avoir vidé ses coffres contre le reçu d’Ochoa, continua sa sieste. Ochoa revint chargé de son butin, qu’il déposa dans la maison de Tobar, transformée pour l’heure en maison de ville. À cette vue, les conjurés poussèrent des cris de triomphe. Il n’y eut qu’une voix sur la destination des douze mille piastres : ce fut de les employer au bien public ; mais ce mot de bien public est susceptible de mille interprétations. Chacun l’entendait à sa manière et donnait son avis plus ou moins désintéressé, et la question restait difficile à résoudre. Cependant, après bien des pourparlers, il fut décidé, sur l’avis d’Ochoa, qu’on emploierait les fonds à la restauration des affûts de canon, dont le bois, horriblement fendu par le soleil, était hors de service. Sans doute, si le bruit de cette échauffourée parvint au général Santa-Anna au fond de l’hacienda de manga de clavo où il avait l’habitude de se retirer après les crises politiques, il dut être bien flatté d’un mouvement en sa faveur qui se manifestait d’une manière aussi patriotique. Pour achever de se modeler sur son illustre patron, Tobar, après avoir investi Ochoa de ses pouvoirs, se retira également dans une propriété qu’il possédait aux environs de Guaymas. Il y était encore quand j’arrivai sur le théâtre des événemens que je viens de raconter.

La cité de Guaymas, qui, malgré ce titre prétentieux, n’est encore qu’à l’état de bourgade, ne possède ni église ni auberge. Le premier point lui est particulier entre toutes les villes du Mexique quant au second, elle le partage avec toutes celles de l’état de Sonora. L’étranger ou le voyageur qui y arrive est forcé de demander dans la première maison venue une hospitalité qui ne lui est jamais refusée. Des remerciemens sincères quand le propriétaire est riche, une indemnité pécuniaire quand il ne l’est pas, dédommagent l’hôte qui vous a reçu de ses soins, de ses dépenses et de son bon accueil. Ce fut donc avec une entière confiance dans cette louable coutume que je dirigeai mon cheval, assez fatigué par une longue route, vers la maison d’un de mes compatriotes à qui l’on m’avait recommandé. Comme, dans ces pays reculés, les chevaux sont reçus familièrement, même dans les chambres à coucher, voyant que personne ne se présentait sur le seuil