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que plus de vingt années se sont écoulées depuis l’apparition du premier travail analytique positif sur les hiéroglyphes, tout est encore à faire, puisque beaucoup d’hommes haut placés dans la science doutent de la réalité d’une découverte dont la démonstration n’est pas venue les chercher. Il est temps que la vérité se fasse jour. Certes, je n’ai pas l’espérance de faire partager à tous une conviction qu’il serait pourtant si facile d’acquérir par soi-même ; j’ai du moins celle de mettre des faits vrais dans un jour assez vif pour qu’il n’y ait plus possibilité de les nier. Je dirai plus, j’espère ne laisser à ceux qui me liront que la liberté de dire : Je ne veux pas croire ; mais à ceux-là je me hâte de donner un conseil : qu’ils s’abstiennent, car ils seraient réduits à se mentir à eux-mêmes pour se conserver le triste plaisir de mentir aux autres.

Avant tout, il importe de faire connaître les phases par lesquelles a passé l’étude de l’idiome égyptien et l’appréciation des diverses écritures qui furent successivement destinées à en peindre les sous. Si parfois je reviens sur des circonstances déjà connues[1], c’est que le port de vue sous lequel j’envisage la question, et les conséquences que je dois tirer de l’appréciation des faits, ne me permettent pas d’en passer un seul sous silence. Je fais donc table rase des jugemens antérieurs sur le même sujet ; j’écris sous la dictée d’une conviction ferme que je tiens à légitimer aux yeux de qui voudra me lire, et, pour parvenir, je ne puis négliger aucun secours. Celui des faits étant, sans contredit, le plus puissant, je me croirais coupable de n’en pas user.


I.

Les Grecs et les Romains, sans respect pour l’antique berceau de la civilisation qui les rendait si vains et si fiers d’eux-mêmes, enveloppèrent les Égyptiens dans le dédain dont ils frappèrent sans exception toutes les nations étrangères. Pour eux, la langue parlée sur les rives du Nil était une langue barbare dont ils se bornèrent à constater l’existence. L’écriture, ou mieux, les écritures qui en étaient les images étaient plus barbares encore, et passer son temps à en apprendre le déchiffrement eût été une impardonnable duperie. De là provient la pénurie presque absolue de documens contemporains et authentiques sur la nature de la langue de l’Égypte. Aussi l’énumération des documens de ce genre qui sont parvenus jusqu’à nous sera-t-elle bientôt faite. Quelques lignes échappées à l’anéantissement des chroniques du prêtre Manethon, quelques mots égyptiens clairsemés dans les livres saints et dans les œuvres

  1. On s’est souvent occupé, dans cette Revue même, des antiquités égyptiennes. Outre les remarquables travaux de M. Letronne, je dois citer un intéressant article de M. A. Lèbre publié dans la livraison du 15 juillet 1842.