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des signes qu’il avait déterminés. Il n’est donc pas tout-à-fait exact de dire qu’il n’obtint aucun résultat en cherchant à appliquer à la lecture des autres parties de l’inscription démotique le recueil des signes dont il venait de constater la valeur dans l’expression écrite de ces noms propres grecs[1].

Tout devait faire espérer qu’Ackerblad, encouragé par ces premiers résultats, tenterait avec succès de faire quelques pas de plus dans la voie qu’il avait ouverte avec tant de bonheur. M. de Sacy répondit à son mémoire et le félicita, tout en défendant de son mieux les lectures qu’il avait proposées ; mais, depuis lors, Ackerblad, quel que soit le motif qui l’ait amené à s’abstenir de recherches ultérieures, cessa de s’occuper de la pierre de Rosette. Un grand pas avait été fait cependant, puisqu’il restait déjà démontré qu’au moins les noms propres étrangers étaient, dans l’écriture démotique, exprimés en caractères alphabétiques, c’est-à-dire en pures images de sons véritablement prononçables.

On avait, ce me semble, le droit de croire que les investigateurs qui désormais s’occuperaient de l’écriture hiéroglyphique sauraient s’affranchir de cet esprit de mysticisme incohérent qui avait présidé aux élucubrations extravagantes du père Kircher. Il n’en fut rien cependant, car en 1804 un livre parut à Dresde sous le titre d’Analyse de l’Inscription hiéroglyphique du monument de Rosette, et l’auteur, qui garda prudemment l’anonyme, imagina de retrouver la contre-partie du décret grec tout entier dans ce qui restait du texte hiéroglyphique, dont évidemment plus de la moitié avait disparu. Pour cet habile interprète, le texte hiéroglyphique du décret était donc complet ! Certes, quelque inventif qu’eût été Kircher, il n’eût en ce cas rien trouvé de plus prodigieux que l’anonyme de Dresde. Je rappellerai ici, pour mémoire seulement, qu’après l’apparition des premiers travaux de Champollion, l’auteur du livre en question en fit paraître une seconde édition à Florence. C’était pourtant trop d’une ; mais il fallait à tout prix protester contre une découverte admirable de simplicité qui venait démolir tant de systèmes si péniblement bâtis et si mal étayés, que le souffle d’une seule idée pouvait les renverser de fond en comble.

La publication des matériaux immenses que la commission d’Égypte avait réunis pour élever le magnifique monument littéraire que tout le monde connaît et admire, devait naturellement stimuler l’ardeur des hommes qui se voueraient à la recherche des mystères de l’écriture hiéroglyphique. Une triste capitulation avait dépouillé la France au profit de l’Angleterre des trésors archéologiques qu’elle avait conquis sur les bords du Nil. La pierre de Rosette et tant d’autres monumens inappréciables allèrent à Londres ; mais ils n’étaient pas pour cela perdus pour

  1. Préface de la Grammaire égyptienne de Champollion, page XIV.