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vaincu. Tous les membres de ce comité étant intéressés à augmenter le butin dont ils doivent recevoir leur part proportionnelle, il va sans dire que leurs décisions sont souvent fort arbitraires et quelquefois d’un injustice criante ; mais il est rare que la presse anglaise s’émeuve des abus qui profitent à l’armée, dont les officiers composent, dans beaucoup de localités, presque sa seule clientelle, et il est plus rare encore (c’est un fait qui n’était point encore présenté) que l’armée elle-même en appelle des décisions qui lui sont favorables. C’est là ce qu’il importait de savoir pour apprécier à sa juste valeur l’incident qui vient de se produire à Bombay.

Le hasard voulut que la liste des principaux objets qui devaient être mis à l’enchère, comme faisant partie du butin de l’armée du Sind, passât de main en main le jour même où paraissait dans les journaux de Bombay la biographie de l’amir de Khyrpour. On découvrit seulement alors que les deux tiers des objets formant la valeur totale du butin de l’armée du Sind se composaient de bijoux et d’ornemens de femmes dont quelques-uns n’avaient pu appartenir qu’à la veuve et aux filles de Mir-Roustam. Que fallait-il penser des assurances si souvent répétées de sir Charles Napier, que toute espèce de propriété particulère avait été respectée, et que les princesses notamment avaient eu la permission d’emporter avec elles tout ce qu’elles désiraient se réserver ? N’étaient-ce pas leurs bagues, leurs colliers et leurs bracelets, dont le produit était sur le point d’être partagé, et dont sir Charles s’apprêtait à toucher pour sa part la somme énorme de 70,000 livres sterling (un million 750,000 francs)[1] ? Qu’on juge de la surprise générale quand on vit circuler un catalogue officiel com mençant ainsi : A vendre, dans le courant de juin, pour le compte de l’armée du Sind 1° une paiRe d’anneaux de jambes, en or avec 23 nœuds, composés de 3 rubis, une émeraude et une perle à chaque nœud ; 2° une paire de bracelets en. or avec 25 émaux blancs et rouges ; 3° une seconde paire d’anneaux de jambes, en or, avec 7 nœuds en turquoises ; 4° un collier d’or enrichi de pierres précieuses dont 13 gros diamans, 30 rubis,18 perles et 12 émeraudes ; 5° trois paires de boucles d’oreilles et d’anneaux de nez avec 2 grosses perles et 1 rubis à chaque pièce ; 6° un ornement que les femmes portent sur la poitrine, composé de 360 diamans, 58 perles et 32 rubis montés en or, etc. ! Et ainsi de suite, depuis le n° 1 jusqu’au n° 100, pour une valeur totale de 10 millions de francs ! Chacun d’abord ne put en croire ses yeux. Puis bientôt la surprise fit place à l’indignaion, et l’on se demanda comment un butin de cette nature était tombé aux mains des vainqueurs ?

Cette première question conduisit naturellement à des recherches sur tout ce qui s’était passé depuis les batailles de Miani et de Dobba, et l’on sut alors qu’immédiatement apres cette dernière affaire sir Charles Napier s’était porté avec son armée sous les murs de la forteresse d’Hyderabad capitale des amirs, où ceux-ci s’etaient réfugies dans leurs harems, auprès de leurs femmes et de

  1. Le butin d’une campagne se partage entre les divers grades d’une armée expéditionnaire anglaise d’après l’échelle suivante : la part du soldat est considérée comme l’unité, celle du caporal vaut deux fois cette unité, celle du sergent est représentée par quatre, du sergent-major par huit, du sous-lieutenant par seize, c’est-à-dire qu’elle est seize fois celle du soldat, et ainsi de suite.