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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/12

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6 REVUE DES DEUX MONDES.

l’air, le bois et la muraille, l’aube hâtive dessinant au plafond les folles découpures des fenêtres, une brise matinale chargée de senteurs pénétrantes, qui soulève le rideau de ma porte et me fait apercevoir au- dessus des murs de la cour les têtes flottantes des palmiers ; tout cela me surprend, me ravit… ou m’attriste, selon les jours, car je ne veux pas dire qu’un éternel été fasse une vie toujours joyeuse. — Le soleil noir de la mélancolie, qui verse des rayons obscurs sur le front de l’ange rêveur d’Albert Durer, se lève aussi parfois aux plaines lumineuses du Nil, comme sur les bords du Rhin, dans un froid paysage d’Allemagne. J’avouerai même qu’à défaut de brouillard, la poussière est un triste voile aux clartés d’un jour d’Orient.

Je monte quelquefois sur la terrasse de la maison que j’habite dans le quartier cophte pour voir les premiers rayons qui embrasent au loin la plaine d’Héliopolis et les versans du Mokattam, où s’étend la Ville des Morts, entre le Caire et Matarée. C’est d’ordinaire un beau spectacle, quand l’aube colore peu à peu les coupoles et les arceaux grêles des tombeaux consacrés aux trois dynasties de califes, de soudans et de sultans qui depuis l’an 1000 ont gouverné l’Égypte. L’un des obélisques de l’ancien temple du soleil est resté seul debout dans cette plaine comme une sentinelle oubliée ; il se dresse au milieu d’un bouquet touffu de palmiers et de sycomores, et reçoit toujours le premier regard du dieu que l’on adorait jadis à ses pieds.

L’aurore, en Égypte, n’a pas ces belles teintes vermeilles qu’on admire dans les Cyclades ou sur les côtes de Candie. Le soleil éclate tout à coup au bord du ciel, précédé seulement d’une vague lueur blanche ; quelquefois il semble avoir peine à soulever les longs plis d’un linceul grisâtre, et nous apparaît pâle et privé de rayons, comme l’Osiris souterrain ; son empreinte décolorée attriste encore le ciel aride, qui ressemble alors à s’y méprendre au ciel couvert de notre Europe, mais qui, loin d’amener la pluie, absorbe toute humidité. Cette poudre épaisse qui charge l’horizon ne se découpe jamais en frais nuages comme nos brouillards ; à peine le soleil, au plus haut pomt de sa force, parvient-il à percer l’atmosphère cendreuse sous la forme d’un disque rouge, qu’on croirait sorti des forges libyques du dieu Phta. On comprend alors cette mélancolie profonde de la vieille Égypte, cette préoccupation fréquente de la souffrance et des tombeaux que les monumens nous transmettent. C’est Typhon qui triomphe pour un temps des divinités bienfaisantes ; il irrite les yeux, dessèche les poumons, et jette des nuées d’insectes sur les champs et sur les vergers.

Je les ai vus passer comme des messagers de mort et de famine, l’atmosphère en était chargée, et regardant au-dessus de ma tête, faute de point de comparaison, je les prenais d’abord pour des nuées d’oiseaux. — Abdallah, qui était monté en même temps que moi sur la terrasse, fit