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l’attention sur ces artistes dévoués et persévérans. Si, en parlant des ouvrages envoyés au Louvre, nous avons dû, pour demeurer fidèle à la vérité, mesurer l’éloge d’une main avare, nous sommes heureux aujourd’hui de pouvoir, sans mentir à notre conscience, louer MM. Delacroix et Flandrin. Pourquoi faut-il qu’une pareille occasion se présente si rarement ? Non-seulement ils ont fait preuve de talent, mais encore ils ont fait preuve d’un rare bon sens. Chacun d’eux a choisi avec une clairvoyance, avec une fermeté qui l’honore, le modèle qui s’accorde le mieux avec la nature de ses facultés. M. Delacroix n’a pas essayé de se faire florentin ou romain ; M. Flandrin n’a pas tenté de lutter avec les coloristes de Venise ; ils ont compris tous deux que ce serait folie de vouloir combattre l’instinct de leur talent. Sans doute, il serait permis de souhaiter chez M. Delacroix un dessin plus sévère, chez M. Flandrin une couleur plus éclatante ; mais la vraie manière de les juger, c’est de les étudier en se plaçant à leur point de vue. Procéder autrement, c’est se condamner à ne pas jouir de leurs œuvres, à ne pas comprendre ce qu’ils ont voulu faire. Nous avons tâché, en étudiant la coupole du Luxembourg et les peintures de Saint-Germain-des-Prés. de mettre en pratique le principe de tolérance que nous recommandons aujourd’hui. S’il nous est arrivé de nous méprendre sur les intentions de MM. Delacroix et Flandrin, nous n’avons jamais été aveuglé par notre antipathie contre les doctrines qu’ils professent. Au nom de Rome, nous n’avons pas lancé l’anathème contre Venise ; au nom de Venise, nous n’avons pas déclaré la guerre à l’école romaine. Nous avons accueilli avec le même empressement, avec la même impartialité, la tradition romaine et la tradition vénitienne. Aux yeux des hommes exclusifs, nous passerons peut-être pour un critique sans foi ; mais cette accusation nous émeut médiocrement. En nous montrant tolérant, nous croyons défendre la cause de la justice, et cette conviction suffit à la paix de notre conscience.


GUSTAVE PLANCHE.