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ancienne édition, probablement unique, de la cérémonie du Malade imaginaire. Ce livret de dix-sept pages a été achevé d’imprimer à Rouen, le 24 mars 1673, trente-cinq jours après la mort de Molière. Il a échappé jusqu’ici aux lunettes des bibliographes et à la passion plus clairvoyante des amateurs du théâtre, Pont-de-Vesle, Befara et M. de Soleinne y compris. Il repose depuis une époque indéterminée sur les rayons de la Bibliothèque Royale, et, qui mieux est, figure depuis vingt-cinq ans au moins sur le catalogue, à l’article si souvent feuilleté de J.-B. Poquelin Molière. Tout le monde a pu l’y voir ; seulement personne jusqu’ici n’avait eu la fantaisie de l’ouvrir et de l’examiner.

Il y aurait une histoire instructive et amusante à faire des premières éditions du Malade imaginaire. Cette comédie-ballet, composée à la fin de 1672, pour récréer Louis XIV au retour de la fameuse campagne de Hollande, ne fut jouée devant le roi que le 19 juillet 1674, dans la troisième journée des fêtes qui eurent lieu à Versailles après la conquête de la Franche-Comté. Toutefois elle avait été représentée auparavant avec un grand succès à Paris, sur le théâtre du Palais Royal, le 10 février 1673, et interrompue le 27 du même mois, après la quatrième représentation, dans laquelle Molière expirant ne put qu’à grand’ peine achever son rôle. La législation était alors si peu favorable à la propriété dramatique, que, pour jouir exclusivement de l’œuvre dernière et très fructueuse de leur chef et de leur camarade, les comédiens de la troupe de Molière, dont faisait partie sa veuve, furent obligés de solliciter une lettre de cachet portant défense à toute autre troupe de représenter cet ouvrage, tant qu’il ne serait pas imprimé. Aussi ne se hâtèrent-ils pas de le mettre sous presse, et comme ce retard ne faisait pas le compte de la librairie étrangère, habituée dès-lors à vivre aux dépens de nos auteurs en crédit, la contrefaçon hollandaise s’avisa cette fois d’un singulier procédé. Un quidam, qui avait vu représenter la pièce à Paris, osa se charger de refaire de mémoire l’œuvre de Molière. Avec Diafoirus père et fils, Argan qu’il nomme Orgon, Purgon qu’il transforme en Turbon (car son oreille néerlandaise n’avait retenu ni compris les noms propres), ce pauvre hère fabriqua la plus plate, la plus fade, la plus triste comédie du monde, preuve éclatante de ce que vaut le style, même au théâtre. Dans les deux pièces en effet, le plan, l’intrigue, les caractères, sont les mêmes ; la diction seule et le dialogue font que l’une est une rapsodie misérable et l’autre un chef-d’œuvre[1]. Diverses éditions plus ou moins fautives se succédèrent tant à Paris qu’à l’étranger, jusqu’à la bonne et authentique publication du théâtre complet de Molière, faite en 1680 par La Grange et Vinot. J’aurais bien quelques remarques à faire sur ces divers textes ; mais ces curiosités attrayantes et ces courses buissonnières allongeraient trop ma route. Je ne veux m’occuper aujourd’hui que du nouveau texte de la cérémonie du Malade imaginaire.

Tous les critiques conviennent que cette réception d’un médecin « en récit, chant et danse » est le plus ingénieux et le plus divertissant des intermèdes qui égaient les comédies-ballets composées par Molière à l’occasion des joies du carnaval. On a même observé que, fidèle à la vérité jusque dans ses parades les

  1. Cette informe contrefaçon pourrait cependant être consultée avec fruit pour l’indication de quelques jeux de scène et pour les costumes. Le maladroit faussaire avait été mieux servi par ses yeux que par son esprit et ses oreilles.