Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les Entretiens de Socrate les nobles origines de cette méthode que les grands philosophes de l’antiquité savaient aussi manier avec une finesse et une sagacité supérieures.

Maine de Biran considérait-il les faits de conscience comme absolument séparés et indépendans des phénomènes vitaux ? On eût fait sourire, en lui adressant cette question, l’auteur des Considérations nouvelles sur les rapports du physique et du moral. Qu’on songe qu’il avait passé sa vie à approfondir un seul fait de la science de l’homme, le fait de l’effort musculaire, et ce fait est justement le nœud où la vie psychologique et la vie organique, ailleurs divisées, viennent se toucher et s’unir. Pénétrer le mystère de cette union par une étude assidue et combinée des faits de conscience et de leurs conditions organiques, et de ce point lumineux faire rayonner la clarté dans toute l’économie de la double existence qui constitue l’homme, telle a été l’entreprise scientifique de Maine de Biran, tel est son titre durable aux yeux de l’histoire.

Élève de Maine de Biran, M. Cousin, qui s’est toujours appliqué, avec un zèle aussi honorable pour son caractère que pour son esprit, à mettre en lumière le nom, les écrits et les idées de son maître, se serait-il séparé de lui sur ce point capital ? En aucune façon. Sauf quelques passages de ses premiers écrits qui portent la trace de l’influence écossaise, M. Cousin, dans toute la suite de sa carrière, a constamment été fidèle à cette doctrine, que la méthode psychologique distingue le physique et le moral de l’homme sans les séparer, et qu’à ce titre elle est aussi ancienne que le spiritualisme et la philosophie. Enfin M. Jouffroy lui-même, que nous avons vu tout à l’heure, dans les premiers essais de sa jeunesse, se fourvoyer à la suite de Dugald-Stewart, revint, par le mouvement original de sa pensée et le progrès solitaire de ses méditations, à la pure doctrine de Maine de Biran. Il nous a laissé un durable témoignage de cette heureuse transformation dans le mémoire sur la Distinction de la psychologie et de la physiologie, écrit pour répondre à M. Broussais, et qui faisait bondir sur son siège de l’Académie des sciences morales ce vieil athlète du matérialisme médical. J’ose dire que Maine de Biran se serait reconnu dans le mémoire de Jouffroy, et qu’il eût envié à son habile disciple ce chef-d’œuvre de rigueur, de précision et de clarté.

Ce point délicat d’histoire une fois éclairci, j’aborde avec confiance les objections élevées contre la psychologie, et, si je ne me trompe, il devient aisé de les dissiper. On suppose en effet qu’il s’agit en psychologie d’une méthode nouvelle, extraordinaire, inouie, laquelle consiste à cesser d’agir pour se replier sur soi-même et se contempler abstraitement dans le parfait oubli de la société et de la nature, et cela pour atteindre une sorte de fantôme ou d’entité abstraite, un moi, un esprit