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impartial. La vie organique, en effet, a deux grands objets, se conserver et se reproduire. Or, l’assimilation et la génération sont encore en physiologie deux mystères qu’on n’a pas pénétrés.

Je ne crains pas d’affirmer que le moral, dans l’homme, a été infiniment plus exploré que le physique. Adam Smith connaissait beaucoup mieux les lois de la sympathie qu’aucun naturaliste les sièges et les conditions organiques de ce curieux phénomène. On sait comment on pense plus qu’on ne sait comment on digère, et il n’y a pas une seule fonction importante de l’organisation qui soit à beaucoup près aussi parfaitement connue que la fonction psychologique du raisonnement. Les savans se vantent de ce que l’astronomie est une science accomplie ; mais, deux mille ans avant Laplace, Aristote avait déterminé la marche de certaines opérations intellectuelles avec autant de précision et d’exactitude que l’auteur de la Mécanique céleste en a pu mettre à fixer les courbes décrites par les astres dans l’immensité.

Que la psychologie soit une science beaucoup plus avancée que la physiologie, c’est ce qui s’explique par une raison aussi simple que profonde ; le principe de la vie animale nous est inconnu, et la physiologie est réduite sur ce point à des conjectures. Il en est tout autrement de la psychologie, qui saisit immédiatement le principe des phénomènes qu’elle observe, et embrasse de la sorte les effets de la vie et la vie elle-même dans sa source. Où en serions-nous si nous étions obligés d’attendre, pour connaître notre nature morale, les lois de notre pensée, les origines de nos passions, le principe de nos actes, la règle de notre conduite, que les naturalistes se fussent mis d’accord sur le nombre infini de questions qui les divisent et qui peut-être ne seront jamais résolues ? Grace à Dieu, il n’en est pas ainsi. Platon confondait ensemble le canal de la digestion et celui de la respiration, l’oesophage et la trachée-artère ; cela empêche-t-il qu’il n’ait été un très profond psychologue, un éminent moraliste ? Le Philèbe, le Banquet, la République, sont pleins d’observations fines et profondes, qui n’attendent pas pour être confirmées que les physiologistes se soient entendus sur la matière grise et la matière blanche dans le cerveau. Aristote n’était pas très versé dans la physiologie de l’homme ; il l’était si peu qu’il ne connaissait pas l’existence des nerfs. Est-ce à dire que le traité De l’Ame ne soit pas un chef-d’œuvre de psychologie, l’Éthique à Nicomaque et l’Éthique à Eudème des études admirables sur les passions du cœur humain, l’Organon le code impérissable de la logique ?

Sans parler de toute la psychologie si ingénieuse, si élevée, des pères de l’église et des docteurs mystiques du christianisme, d’un saint Augustin, d’un Bonaventure, d’un Gerson, pourrait-on citer dans aucune science des monumens plus durables que la Recherche de la vérité, les Nouveaux essais sur l’Entendement humain, la Critique de la Raison