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sonore perdue dans les profondeurs de la montagne, s’il aime le lac bleu dont les roseaux solitaires chantent mélodieusement au clair de lune c’est que la forêt et le lac vivent pour lui d’une vie élémentaire. c’est qu’il pressent çà et là des légions d’esprits qu’il évoquera tôt ou tard : ici le chasseur vêtu de rouge et de vert, Samiel et sa meute endiablée, présidant aux sortilèges du carrefour maudit ; là-bas les elfes vaporeux frissonnant aux étoiles, Ariel et Miranda, le cor enchanté d’Oberon répondant à la trompe infernale, les suaves Tempés du royaume de Titan a leur horizon à la caverne des démons, car c’est le propre de Weber d’avoir su exceller dans l’art des contrastes, et son fantastique mi-parti de ténèbres et de clarté vous fait involontairement songer à ces tableaux mystiques de l’école italienne dont la région supérieure nage dans la sérénité, tandis qu’au-dessous tout est nuit et terreur. Si donc Weber entre en rapport avec la nature, c’est pour lui demander les secrets de sa vie profonde et cachée. Désormais le torrent et le bois, l’océan et la montagne, cesseront de servir de fond au tableau comme chez Beethoven, et, si je puis m’exprimer ainsi, d’être la simple pédale de l’orgue harmonieux sur lequel l’ame humaine gémit son ineffable complainte, son monologue divin. Tout ici palpite et bourdonne d’une vie indépendante qui, pressée de se faire jour, va se manifester au premier plan. Les génies des eaux, de la terre et de l’air, ondins, elfes et gnomes, concourent à l’action ; de tous côtés foisonnent les esprits élémentaires, et bientôt entre les personnages réels et les autres vous ne distinguez plus, tant le nuage fantastique enveloppe les groupes.

Une fois son monde évoqué, Weber se l’associe et ne néglige rien pour se le rendre intime, familier, car il croit en lui comme Hoffmann, comme Tieck, comme Arnim, comme tous les coryphées du mouvement poétique dont il semble avoir eu pour tâche de vulgariser par la musique le romantisme littéraire. Là même est, selon moi, le secret de la popularité immense de l’auteur du Freyschütz, d’Euryanthe et d’Oberon. Par ses sentimens, par ses mœurs, par ses goûts, Weber se rattache à cette phalange héroïque de jeunes hommes exaltés qui, s’inspirant des principes de nationalité, fondèrent ce qu’on appelle encore aujourd’hui l’école romantique et s’en allèrent au-delà des siècles chercher dans les institutions et les croyances du moyen-âge des secours contre les idées françaises, alors envahissantes. Vous connaissez ce Knabenwunderhorn, ce recueil où Brentano et d’Arnim ont entassé les mille trésors de la vieille poésie allemande : traditions, légendes et contes bleus, berceuses et refrains de chasse, tout est là. Eh bien ! pour la musique, Weber me représente ce recueil vivant, il me semble retrouver en lui ce mélange de naïf et de merveilleux, de sentimentalité et de superstition, qui fait le fonds de l’instinct populaire au moyen-âge ; et d’ailleurs comment l’enthousiasme