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de navette mélodieuse qui ne tardait pas à disparaître sous d’inextricables tissus d’harmonie.

Cependant, à certains intervalles, la confrérie musicale émigrait ; l’abbé visitait alors avec sa troupe les principales villes d’Allemagne vrai professeur de gaie science, toujours prêt à discourir chemin faisant, et capable de convertir en académie une chambre d’auberge, s’il s’agissait de tirer profit pour son enseignement d’une observation recueillie dans la journée ! — Des hommes tels que Weber et Meyerbeer étaient faits pour se comprendre et s’aimer ; il y avait dans ces deux intelligences un point de contact par lequel elles devaient se rapprocher dès leur première rencontre sur les bancs de l’école. Je veux parler du sens esthétique, de cette façon transcendantale, qui les caractérise, d’envisager l’art musical. Toutefois une trop grande différence d’âge existait entre les deux futurs rivaux (Meyerbeer était plus jeune de dix ans que Weber) pour que les relations s’établissent sur ce pied d’intimité qu’elles n’auraient point manqué de prendre plus tard, si la mort eût épargné l’aîné. Weber exerça donc, dès cette époque, sur Meyerbeer, cette influence de l’âge qui impose toujours, quoi qu’on dise, surtout lorsque cette influence est accompagnée du prestige d’une gloire naissante, et les premières sympathies de Meyerbeer pour son condisciple furent mêlées d’une certaine admiration superstitieuse que devait exalter encore la physionomie attristée et pensive, l’air sauvage et distrait de cet irritable jeune homme, à l’œil de feu, aux pommettes saillantes, absorbé dans le pressentiment d’un monde surnaturel.

En 1896, Weber fut appelé à Dresde pour y remplir les fonctions de directeur de la musique. Il s’agissait de fonder un opéra national dans la capitale des rois de Saxe, et l’on devine avec quel empressement notre jeune maître accepta la mission. Déjà Weber avait essayé de plusieurs postes de ce genre, mais sans pouvoir se fixer en aucun, soit que sa nature susceptible et nerveuse le rendît peu propre à discipliner des artistes médiocres, soit qu’il se sentît déplacé partout ailleurs que dans une résidence de premier ordre. Cette fois l’occasion se présentait, il la saisit, et de ce moment Dresde devint sa véritable patrie. Parlerai-je de tant d’illustres compositions qui signalèrent son avènement, cantates, messes, ouvertures, lorsque déjà nous touchons au Freyschütz, lorsque l’heure fantastique a sonné ?

Ici des temps nouveaux commencent.


II.

Le 19 juin 1821, vers midi, la plupart des beaux esprits de Berlin semblaient s’être donné rendez-vous au café Stehley. Poètes, peintres,