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d’Oberon. Weber s’était rendu en Angleterre sur la foi d’un directeur de spectacle à qui les riches promesses n’avaient rien coûté pour se procurer le concours de l’auteur de Freyschütz et d’Euryanthe, concours sur lequel on avait fondé la fortune d’une saison ; mais la fortune a ses caprices, en Angleterre surtout, où dans les choses d’art et de théâtre le vrai mérite entre d’ordinaire pour si peu. Arrivé à Londres après un voyage des plus funestes pour sa santé, déjà si cruellement altérée, Weber n’y trouva que déceptions et désastres. Il se mit à l’œuvre avec courage. Bientôt malheureusement, soit l’influence d’un climat humide et nébuleux, soit les contrariétés de toute sorte auxquelles il se voyait en butte, son état valétudinaire empira au point que les rares amis qui le visitaient alors conçurent les plus sérieuses inquiétudes. Lui cependant ne fléchit pas. Vainement la vie en lui se consumait ; vainement, pour réparer ses forces qui le trahissaient, les ressources manquèrent le noble artiste n’en continuait pas moins d’écrire. Nous avons entendu à ce sujet d’affreux détails de la bouche d’un brave homme qui l’assista pendant cette sinistre période. À de pareils récits, le cœur se navre. Ne cessera-t-il donc jamais de s’augmenter, ce lamentable troupeau d’infortunés sublimes, et faudra-t-il éternellement, à propos d’un grand artiste, musicien ou peintre, avoir à compulser des registres d’hôpital ? Ô Weber ! que n’étiez-vous avocat ou médecin ! alors sans doute vous auriez échappé à cette sombre destinée ; mais s’en remettre à sa pensée du soin de son existence, quand cette pensée est intègre et pure, ombrageuse et fière, c’est tout simplement prendre le chemin de la prison pour dettes. D’ailleurs, pourquoi vous plaindriez-vous ? Tant d’autres qui vous ont précédé ont-ils eu meilleur sort ? Comptons un peu : de Dante Alighieri à Michel Cervantes, de Camoens au Torquato, combien la malédiction en a-t-elle épargné ? Partout le bannissement, la misère, la faim, et, mieux que tout autre pays, cette Angleterre, où vous êtes, n’a-t-elle pas toujours su fournir son contingent au funèbre cortége : Milton, Dryden, Otway, Savage, Chatterton ? Avant de quitter votre chère Allemagne, que ne vous faisiez-vous traduire ces noms ! Ils ont un sens : abandon, désespoir, suicide. Voilà ce qu’il dut se dire bien des fois, le grand musicien, dans son étroit garni de Portland-Street, lorsque vers minuit, épuisé par la fatigue et le besoin, il quittait sa table de travail et venait coller son front fiévreux aux carreaux de la fenêtre. Cependant la ville s’agitait sous ses yeux, courait à ses plaisirs, à ses affaires, sans se soucier de cet homme ayant mission de la distraire, et qui veillait à cette heure dans la privation et la souffrance. Immolez-vous donc à la foule, et payez du sacrifice de votre vie entière la gloire de lui arracher un sourire, une larme ! Heureusement qu’aux ames si cruellement torturées par la réalité les mondes de l’imagination ouvrent un asile. Weber s’y réfugiait, et sa poitrine, abreuvée de tant de