deux inconvéniens tout-à-fait intolérables : le premier, c’est que S. M. se trouve, pour la défense du pays, à la merci des bourgeois du tiers-état de Bruxelles, du quart-état de Louvain et autres de ce calibre, et que ce n’est pas être leur seigneur, mais bien leur sujet… ; l’autre inconvénient, pernicieux au plus haut degré et vraiment abominable, c’est que, chaque fois qu’ils ont accordé un subside, ils en ont profité pour arracher de telles conditions et de telles libertés, que V. M. avait fini par n’avoir plus entre les mains ni le gouvernement ni la justice et par être hors d’état de punir les coupables… Ceux à qui je parle le voient et le comprennent bien, mais ils disent qu’ils craignent que les états ne consentent jamais à en passer par là. Je leur réponds qu’ils auraient raison de le craindre, s’il s’agissait de proposer les impôts en question, comme on a fait jusqu’à présent les propositions de cette espèce, mais que je comptais m’y prendre de la manière dont je m’y suis pris lorsque j’ai demandé à ceux d’Anvers les quatre cent mille florins pour la citadelle, en leur faisant entendre que, bien qu’on emploie la forme de la proposition et de la prière, la chose doit absolument avoir lieu… J’ai parlé alors des alcabalas d’Espagne (droits sur la vente des objets de consommation). Si V. M. avait vu la grimace qu’ils ont faite lorsque j’ai eu prononcé ce mot, elle les aurait crus à moitié morts. Ils ont prétendu que c’était un moyen infaillible de tuer le commerce, que, si on le soumettait à un droit quelconque, il ne viendrait plus de marchandises, que c’en serait fait à tout jamais… Ils commencent pourtant à devenir plus traitables. Je suivrai cette affaire et j’y ferai mon possible, parce que, si j’y réussis, je croirai avoir rendu un grand service à V. M., et, pourvu que je puisse introduire cet impôt, je m’inquiéterai peu du chiffre, fût-ce seulement un pour cent de la valeur, car, une fois qu’il sera établi en revenu patrimonial de V. M., il dépendra d’elle de le faire monter ou de le réduire comme il lui conviendra. »
Après cette dissertation financière, la dépêche que j’analyse revient à la question que le duc d’Albe avait le plus à cœur et qui occupait principalement ses pensées.
« Quant aux affaires des rebelles et des hérétiques, je ne puis compter que sur Juan de Vargas : excepté lui, le tribunal que j’ai établi pour ces affaires, non-seulement ne m’est d’aucun secours, mais me suscite tant d’embarras, qu’il me donne plus de peine que les rebelles eux-mêmes, et les commissaires que j’ai envoyés pour découvrir les coupables ne font autre chose que travailler à les mettre à l’abri, en sorte que je ne parviens pas à les connaître. Les fraudes que l’on commet dans les condamnations, en ce qui touche les biens des accusés, me paraissent si excessives, que le bénéfice qu’on en retirera restera, je crois, au-dessous des dépenses des gens de justice. »
Ce dernier trait ne rappelle-t-il pas le mot si connu de ce brigand qui se prétendait volé parce qu’il ne trouvait pas les poches de sa victime aussi bien garnies qu’il s’y était attendu ?
Évidemment le duc d’Albe, trompé, comme tous les oppresseurs, par le silence et l’apparente soumission qui sont d’ordinaire les premiers résultats de la violence, croyait le succès de son entreprise désormais