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marque extérieure d’impatience, comme il aurait parlé de choses intéressant un étranger, en pardonnant à tout le monde, avec beaucoup de courage et avec toutes les apparences d’un chrétien prédestiné. Il m’a confié une petite chaîne d’or très fine, à laquelle est suspendue une bague d’or, le sceau de ses armes et une autre bague avec une turquoise, le sceau et la chaîne pour que je les envoie à sa femme, et l’autre bague à sa belle-mère, attendu qu’elles lui avaient donné ces bijoux dans les premiers temps de son mariage. Il m’a recommandé aussi d’écrire à sa femme comment il avait plu à Dieu de le retirer de ce monde dans un temps où il ne pouvait avoir la liberté de la servir et de l’honorer, et qu’il lui envoyait ce bijou parce qu’il l’avait toujours porté, et en souvenir de lui, qu’il la suppliait de se souvenir du sang dont elle vient, d’être aussi catholique que ses ancêtres, et de ne pas se laisser entraîner aux opinions et aux sectes nouvelles, mais de persister dans la foi et la religion qu’enseigne l’église catholique romaine, et que l’empereur Charles-Quint, notre seigneur, a défendues par ses lois, comme aussi d’être toujours dévouée au service du roi, ainsi qu’il l’attend d’elle et de sa mère. Tous ces objets sont entre mes mains pour que j’en dispose par ordre de sa majesté suivant que vous voudrez bien m’en donner avis, et, dans le cas où on m’autoriserait à écrire, veuillez m’envoyer un modèle de lettre pour qu’en effet les intentions de sa majesté soient accomplies et que je m’acquitte de l’obligation que cette personne m’a laissée, obligation soumise à la volonté royale… Cette lettre est plus longue que je n’aurais voulu, craignant comme je le crains de vous fatiguer, mais ce n’est pas moi qu’il faut en accuser, c’est vous qui avez voulu que je fusse témoin de cette scène douloureuse. »


Ainsi s’exprime le moine. Après avoir lu sa narration, on comprendra que j’aie cru devoir la traduire presque tout entière, au risque de quelques répétitions. Dans sa rédaction naïve et confuse, elle offre un caractère absolument différent de tous les autres documens qui ont passé sous nos yeux : c’est le seul dans lequel le sentiment de l’humanité ne semble pas étouffé par les préjugés du temps. Entré évidemment dans la prison avec la pensée d’y trouver un rebelle et un hérétique, le bon religieux s’étonne de la piété exemplaire, de l’irréprochable orthodoxie de son pénitent, il est heureux d’en rendre témoignage, et, bien qu’il n’ose pas proclamer aussi ouvertement l’innocence de Montigny sous le rapport politique, il laisse suffisamment entendre qu’il n’en est guère moins convaincu. Son zèle pour le salut éternel du condamné n’est certes pas moins grand que celui des hommes qui l’ont envoyé auprès de cet infortuné, mais cette préoccupation principale ne l’absorbe pas au point de le rendre insensible à ses souffrances temporelles, et de négliger les moyens de les adoucir. On aime à voir, au XVIe siècle, dans le pays de l’inquisition, un moine montrer cette indulgence, j’ai presque dit cette tolérance pour le malheureux que d’impitoyables hommes d’état voulaient absolument soupçonner d’hérésie, et qu’ils avaient condamné comme coupable d’avoir favorisé les hérétiques. La charité chrétienne, se faisant jour ainsi à travers les épaisses ténèbres du plus