Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore un des tableaux les plus fantastiques qu’il soit donné de contempler ; puis l’obscurité succéda au silence, et les ténèbres envahirent de nouveau la forêt et ses sauvages habitans.

— Maintenant vous pouvez dormir, nous dit Cayetano, et j’aurai soin de vous éveiller pour que vous puissiez assister à la fin des cérémonies.

J’étais accablé de fatigue ; je m’étendis par terre, et je ne tardai pas à suivre les conseils de Cayetano. Quelque temps avant l’aube, notre guide nous éveilla. La vie semblait reprendre son cours habituel dans ces bois silencieux. Des formes indécises allaient et venaient ; les Indiens se levèrent l’un après l’autre, et, toujours guidés par la voix du chef, ils abandonnèrent la partie de la forêt où ils avaient passé la nuit.

— Debout, seigneurs ! nous dit Cayetano, et suivons de loin, il nous reste à voir des choses curieuses.

Les premières lueurs grisâtres du matin éclairaient les échappées de la forêt, quand la tribu parvint à la lisière d’une petite clairière bordée de tous côtés par des arbres épineux ; au-dessus de ces broussailles s’élevaient, semblables à des piliers, des troncs d’arbres dont le fer avait dépouillé les branches, et le feu noirci l’extrémité. Ces broussailles qui bordaient la clairière nous offraient un poste d’observation commode pour tout voir et tout entendre sans être vus. Ce fut là que nous nous arrêtâmes.

Le sommet des pieux soutenait une tente en coton cardé qui couvrait toute la clairière comme un nuage à demi transparent. Ce fut sous ce dais que la tribu s’arrêta, chacun ayant conservé le déguisement sauvage de la nuit. Ce pêle-mêle de fourrures et de plumages, entrevu à la faible lueur du crépuscule, offrait à l’œil quelque chose d’effrayant. Le vent du matin frémissait dans les feuilles et soulevait le rideau flottant qui recouvrait tous les acteurs de cette scène extraordinaire. Les premières blancheurs de l’aube rayaient l’orient derrière les montagnes qui dominaient la forêt, dont les teintes sombres se dégradaient doucement et se perdaient dans la brume matinale. Au milieu du silence de la nature s’éleva, lentement cadencé, un hymne religieux d’une douceur infinie ; puis les voix se rapprochèrent sans qu’on entendit même les feuilles sèches crier sous les pas des chanteuses, car je pensais avec raison que des voix féminines pouvaient seules produire ces accens. Bientôt en effet les femmes, de ce pas élastique et timide qui n’appartient qu’aux Indiennes, vinrent se ranger du côté opposé aux hommes, et se tinrent immobiles sans discontinuer leurs chants. Un voile d’étoffe de coton couvrait leur visage, et retombait en plis jusqu’au-delà de la ceinture. Quelques-unes d’entre elles seulement portaient sur la tête des paniers de joncs remplis de fleurs effeuillées.

Le chef de la tribu, couvert d’une peau de lion, fat un signe, et, quelques instans après, le silence succéda aux chants. Le chef prit des mains d’un