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qu’elle ne remédiait nullement au vice de la situation. Sir Robert Peel se réservait seulement l’apparence de faire quelque chose, et se conciliait les voix des abolitionistes et des intéressés au monopole colonial. Toutefois la mesure était si insignifiante, que l’année suivante, c’est-à-dire en 1845, il fut obligé, pour satisfaire aux justes exigences de l’opinion publique, de porter la main sur ce même intérêt colonial qu’il avait jusque-là respecté. Il proposa d’abaisser le droit sur le sucre des Antilles anglaises et de Maurice de 10 sh., c’est-à-dire de le réduire à 14 sh. (17 fr.), et de faire subir au sucre produit par le travail libre une pareille diminution, 23 sh. au lieu de 34 ; mais, bien que les produits de Cuba, de Porto-Rico et du Brésil demeurassent exclus du marché de la Grande-Bretagne, et que l’expérience eût démontré que les provenances de Manille, de Java et de la Chine laissaient intact le monopole des planteurs, sir Robert Peel eut à combattre une opposition violente et implacable. D’orageux débats s’élevèrent sur les deux bills qu’il proposait. Les argumens des planteurs et des amis du cabinet, inspirés par des intérêts privés ou des intérêts de parti, n’ont aucune valeur sérieuse ; qu’il nous suffise de rappeler les principaux points de l’argumentation des whigs, qui peuvent donner une idée exacte des principes du bill soumis au parlement par lord John Russell.

La position prise par sir Robert Peel, et dans laquelle se retranchent les adversaires du bill de lord John Russell, est nettement indiquée par ces paroles que le ministre tory prononçait le 17 juin 1844 « Notre opinion, en ce qui concerne les sucres, est celle que nous avons maintenue depuis plusieurs années. Nous avons toujours pensé que les considérations ordinaires d’après lesquelles se déterminent les questions politiques et financières dans ce pays n’étaient pas applicables à la question des sucres. L’attitude que l’Angleterre a prise à l’égard de la traite donne le droit de penser qu’elle la considère comme un mal qu’il faut avant tout éviter. Dans les circonstances ordinaires, nous admettons parfaitement que chaque état ne doit compte à personne du règlement de ses affaires intérieures ; mais les traités constituent aux puissances une situation différente dans toutes les questions qui touchent au commerce des esclaves. Ces sacrifices d’argent que nous avons faits dans un pur intérêt d’humanité pour la suppression de la traite, les lois pénales que nous avons votées pour atteindre ce but, ont donné la mesure des principes qui doivent présider à nos relations commerciales. ». Les whigs soutenaient de leur côté, avec raison, que la distinction entre le travail libre et le travail esclave était tout à la fois absurde, parce qu’il était impossible de la mettre en pratique, et hypocrite, puisqu’elle ne s’appliquait qu’à un seul produit du travail esclave, et n’atteignait ni le tabac ni le coton. M. Macaulay résuma ces argumens dans un mémorable discours qui restera comme un chef-d’œuvre de bon sens, de