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le débiteur du monarque, tandis qu’un homme de rien obtiendrait l’exemption du tribut ? Après les résistances individuelles vinrent les protestations collectives des provinces. Il s’en fallait que l’impôt direct fût assis partout sur les mêmes bases. Les pays d’élection, taillables à merci, étaient bien moins favorisés que les pays d’état, dont le principal privilège était l’apparence du consentement aux charges publiques. Ces pays d’état, dont la population formait seulement le quart du royaume, ne contribuaient guère que pour un septième dans le produit des tailles. Comment égaliser les taxes dans les provinces nouvellement acquises, sans violer les contrats de réunion à la couronne française ? Ne pouvant atteindre le riche, Colbert s’appliqua du moins à dégrever le pauvre. Les tailles qu’il trouva à 50 millions furent abaissées d’un tiers ; son vœu était de les réduire à moitié. L’impôt exécré du paysan, la gabelle, fut adouci et surtout simplifié dans sa perception. L’unique moyen de saisir les privilégiés était de multiplier les taxes de consommation. Colbert s’y décida, bien malgré lui sans doute, car il était trop clairvoyant pour ne pas comprendre que l’enchérissement des subsistances, entraînant le haut prix de la main-d’œuvre, deviendrait funeste aux manufactures.

Sous un gouvernement absolu, où les dépenses étaient ordonnées sans contrôle par le roi, une comptabilité sévère devenait le seul frein au despotisme. L’explication des abus et des réformes de Colbert en ce genre a fourni de très bonnes pages à M. Clément. Je regrette de ne pouvoir reproduire ici les piquans détails qu’il donne sur les ordonnances de comptant, qui formaient le chapitre des dépenses secrètes sous l’ancien régime : liste civile des espions, des intrigans, des flatteurs et des maîtresses ; source de corruption et de scandales, qui, malgré les sages précautions introduites par Colbert, creusa l’abîme où disparut cent vingt ans plus tard la monarchie de Louis XIV. En somme, l’étude de notre état financier jusqu’à la révolution de 1789 est la condamnation du gouvernement absolu. Il ne faut pas s’aveugler sur l’exiguïté des chiffres dans les anciens budgets, et, de ce que le total des recettes est dix fois plus élevé aujourd’hui que sous Louis XIV, conclure que les charges personnelles sont devenues beaucoup plus considérables. Nombre de dépenses nécessaires qui sont faites à présent par l’entremise de l’état étaient accomplies directement autrefois par les particuliers ou par des institutions spéciales ; mais le sacrifice n’en retombait pas moins à la charge du public. Ainsi le budget de 1683, année de la mort de Colbert, présente une recette brute d’environ 113 millions pour une dépense réglée à 115 millions ; mais, à cette époque, le paiement des rentes qui absorbe aujourd’hui 360 millions, était fort incertain, et n’inquiétait guère le gouvernement ; on trouvait aisément le moyen de suspendre ou de réduire le paiement quand le trésor éprouvait