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chambre tout entière déclara solennellement que sa retraite serait une calamité nationale. Enfin sa position devint tout-à-fait éminente, lorsqu’en 1834 il céda le département de l’intérieur pour ne plus avoir que la présidence du conseil. Donnant alors un bel exemple du désintéressement qui lui était familier, il résignait son traitement et ne conservait qu’une pension de mille thalers.

Cependant l’esprit du pays allait insensiblement changer : la révolution avait accompli sa première période, et la société, rétablie sur de meilleures bases matérielles, aspirait au mouvement. Ce n’était point assez d’avoir rompu la veille les entraves du moyen-âge ; on exigeait le lendemain la réalité de la vie constitutionnelle. De ces deux conquêtes, la première s’était fait attendre si long-temps, qu’on était déjà mûr pour la seconde : c’est là l’histoire des pays qui n’ont point passé par nos siècles d’épreuves ; nous avons travaillé pour eux et pour nous ; on marche vite sur une route frayée. M. de Lindenau n’acceptait pas ce rapide progrès ; il croyait que la charte dont il était l’auteur répondait suffisamment aux besoins légitimes de l’activité publique ; il n’admettait le droit de pétition que dans des limites sévères, la presse qu’avec la censure, la franchise électorale et la représentation du peuple que sous des conditions assez rigoureuses pour en restreindre l’efficacité politique. Du reste, il aimait en toute sincérité le système parlementaire, il pratiquait fidèlement les obligations attribuées par ce système au pouvoir exécutif ; il reconnaissait le contrôle du pouvoir délibérant dans tout le cercle de sa compétence légale ; il ne l’éluda jamais, et le cabinet qu’il a si long-temps présidé mérite tout entier le même éloge. Jamais, par exemple, depuis 1830, on n’a vu de ministre saxon ordonnancer à son gré les dépenses avant d’avoir porté son budget à la tribune, refuser ensuite de les motiver, et déclarer l’emploi des fonds très valable, par cela seul qu’ils sont employés. C’est pourtant chose qui se rencontre souvent en Allemagne. Le ministre des finances badoises, M. Bœckh, ne se gênait guère, il y a deux ans, pour jeter à la face des chambres ces hautaines paroles : « Vous ne voulez pas voter la somme que je demande ; à quoi bon, et où prétendez-vous en venir ? Elle est payée, elle restera payée. » M. de Lindenau professait au contraire et enseignait à ses collègues, aussi bien qu’au pays, la doctrine constitutionnelle des budgets spéciaux ; il déclarait à plusieurs reprises qu’une dépense faite sans l’aveu du parlement n’engageait pas l’état ; plaisait-il au parlement de la condamner, c’était à celui qui l’avait décétée de rétablir au trésor les deniers qu’il en avait mal à propos distraits. L’administrateur consciencieux s’élevait ainsi, dans la loyauté de son zèle, jusqu’à la hauteur de la politique la plus libérale. Et cependant, comme M. de Lindenau réclamait l’intégrité, mais non l’extension de la charte, il fut bientôt de plus en plus délaissé par cette popularité