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écrivains, il en est dont les intentions sont droites, et que la cour de Turin exile en ce moment ; on les a trompés. Il en est d’autres qui, abrités par l’équivoque, attaquent le libéralisme comme un obstacle aux conquêtes futures des princes italiens sur l’Autriche : ceux-ci ne sont pas dupes ils trompent. Entre les uns et les autres, à qui se fier ? Évidemment ce ne sont pas les hommes, c’est le but du mouvement qui doit nous préoccuper. Ce but, ne l’a-t-on pas déjà reconnu, et n’est-il pas évident que c’est la tradition absolutiste qui, sous le masque d’une réaction nationale, cherche à se substituer au progrès ?

Il reste à l’aristocratie de la péninsule une autre mission, si elle veut l’accepter. Qu’elle se souvienne de son histoire : elle a marché avec la commune, ses ancêtres se sont battus pour les franchises de la terre, ils ont grandi avec la réaction nationale contre la papauté et l’empire. Aujourd’hui la commune est partout souveraine, excepté en Italie. La bourgeoisie n’en est plus à réclamer ses privilèges, elle dicte des lois. La commune italienne veut se relever à son tour ; elle s’agite ; elle aspire à une vie plus large. L’aristocratie comprendra, il faut l’espérer, cette situation nouvelle. Les atteintes portées par la révolution à l’esprit de caste, à la légitimité austro pontificale, ont dû la convaincre que son ancien rôle est fini. M. Litta lui-même laisse percer à chaque ligne le sentiment d’une défaite irréparable. Il dépend des nobles Italiens de regagner sur un autre terrain ce que la force des choses leur a fait perdre Qu’ils s’unissent à la haute bourgeoisie et se fassent ainsi, comme au XVIe siècle, les représentans de la commune. Au lieu de conquêtes absurdes qui auraient fait sourire leurs ancêtres, qu’ils demandent, avec l’autorité de leur nom, les réformes nécessaires au pays. Assez d’abus subsistent en Italie. Faut-il rappeler le privilège du clergé en matière de justice, l’inquisition, la censure ecclésiastique l’enseignement livré aux jésuites, le gouvernement militaire fonctionnant en Piémont[1], les garanties individuelles supprimées d’un bout à l’autre de la Péninsule ? Au lieu de commencer par l’impossible, au lieu de discours sans portée sur les moyens de conquérir l’unité de l’Italie par je ne sais quel larcin diplomatique, que l’on débute donc par le possible ; que l’on prête aux réclamations des communes l’appui d’une parole ferme et d’une influence respectée ; que l’on renonce surtout à ce langage obscur, embarrassé, à cet abus dangereux de l’équivoque et de l’hypothèse. Que s’il y a des princes qui se croient entraînés par la vocation de la grandeur, pourquoi n’essaient-ils pas de doter leurs états de lois nouvelles, d’institutions réparatrices ? Ce serait là une conduite plus noble, plus digne, que d’entretenir de folles illusions dans le carbonarisme,

  1. En Piémont, comme en pays conquis, ce sont les généraux qui font l’office de préfets.