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à la fois à celui qui la possède, soit individu, soit peuple, et à celui même qui ne la possède pas, puisqu’elle fait naître au moins pour ce dernier de nouvelles occasions d’échange et de travail. Le préjugé contraire a cédé presque partout, il faut le reconnaître, devant l’évidence de ces vérités consolantes : on ne le retrouve plus guère aujourd’hui que dans les bas-fonds de la société, où il nourrit encore la haine du pauvre contre le riche, ou dans les écrits sans valeur et sans nom de quelques obscurs niveleurs ; mais, durant son règne trop long, il a engendré tout un ordre de dispositions hostiles, qui nous embarrasse et nous enchaîne encore malgré nous.

A ce préjugé décidément anti-social s’en était joint un autre, plus inoffensif en apparence, et qui pourtant ne devait pas être moins funeste : c’est que la richesse réside essentiellement dans la possession de l’or et de l’argent. De là cet acharnement que les peuples mettaient à se disputer les métaux précieux, ce soin minutieux à les retenir chacun dans son pays, cette prétention ridicule de les y attirer par toutes les voies. «  Quelle est la base du système prohibitif ? disait il y a douze ans, dans une pétition adressée aux chambres, le comité des cultivateurs de vignobles ; c’est la chimère de vendre sans acheter, problème qui reste encore à résoudre. » Combien de fausses mesures cette idée seule n’a-t-elle pas inspirées ! Restrictions à l’importation des marchandises étrangères, encouragemens à l’exportation des marchandises indigènes, prohibitions même à la sortie des espèces monnayées ; car, si ces dernières mesures sont maintenant abandonnées dans presque tous les états de l’Europe, où elles sont justement devenues la risée de tous les hommes de sens, elles y ont été long-temps en vigueur ; elles subsistent même encore dans quelques-uns, par exemple en Espagne, et ne sont pas, après tout, plus déraisonnables que tant d’autres qui forment l’essence du système restrictif. Tout cela dérive au fond de la même source et tend à la même fin. C’est l’application, avec toutes ses conséquences, du fameux principe de la balance du commerce, en vertu duquel la politique commerciale d’un état doit tendre, par des mesures restrictives adroitement combinées, à augmenter la somme du numéraire que le pays possède, ou tout au moins à la maintenir intacte. Elles ont long-temps régné, ces idées, et elles ont laissé partout des traces de leur passage. Faut-il le dire ? malgré les progrès de la raison publique, il s’en faut bien qu’elles aient entièrement disparu. Si elles n’osent plus guère se présenter comme autrefois la tête haute et s’ériger en système, elles vivent encore au fond de la pensée de tous les partisans des restrictions. Aussi les retrouve-t-on à chaque pas dans leurs discours, quelquefois déguisées, souvent obscures, toujours présentes. C’est qu’en effet le système restrictif ne peut ni se produire ni se défendre que sous leur invocation.