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n’y sont pour rien. Faut-il rappeler que ce même pays ayant, de 1842 à 1845, aboli un grand nombre de prohibitions, et réduit les droits protecteurs de moitié, des deux tiers, des trois quarts sur six cent cinquante articles, vit ses importations s’accroître en peu de temps dans une proportion énorme, sans que pour cela son numéraire se soit écoulé au dehors, sans que l’état de la circulation monétaire en ait été le moins du monde altéré[1] ? Rappellerons-nous encore que, chez tous les peuples de l’Europe dont l’administration tien du mouvement du commerce extérieur, les importations et les exportations, prises sur un certain espace de temps, se balancent, et que la quantité du numéraire en circulation y demeure constante, aussi bien qu’en Angleterre et en France, quelles que soient d’ailleurs les combinaisons de leurs tarifs ? Il y a même à cet égard des faits curieux à observer. Quelques peuples repoussent d’une manière absolue les produits de certains autres peuples, auxquels ils ont pourtant la prétention de vendre les leurs, et ils y réussissent, du moins en apparence. Telle a été long-temps la conduite de l’Italie à l’égard de l’Angleterre : elle vendait à l’Angleterre une quantité considérable de matières brutes, et n’en recevait rien en échange ; pareils, ou peu s’en faut, étaient les rapports de la France avec le même pays. Croit-on pour cela que l’équilibre des échanges était détruit ? Nullement. L’Angleterre se faisait l’intermédiaire entre l’Angleterre et la France. « Des états comparatifs, fournis par la douane française à nos commissaires de commerce, MM. Villiers et Bowring, contenant les exportations entre l’Angleterre et la France, et entre la France et les Pays-Bas, jettent une grande clarté sur la balance commerciale entre ces trois nations. La valeur officielle de nos importations tirées de la France s’élevait, en 1831, à 3, 055, 616 liv. sterl. ; celle des importations en France venant de l’Angleterre à 897,197 liv. Il résulte de ces chiffres que l’excédant des exportations de la France avec l’Angleterre sur ses importations est en grande partie payé par des échanges avec les Pays-Bas[2]. » Cette situation s’est un peu modifiée dans la suite ; elle subsiste encore néanmoins dans ses termes principaux. Toujours la France paraît vendre à l’Angleterre plus de marchandises qu’elle n’en reçoit, mais aussi elle paraît recevoir de la Belgique plus qu’elle ne lui vend, et en somme les résultats se compensent, tant il est vrai qu’en dépit des tarifs, l’équilibre se rétablit toujours. Ce sont pourtant là des faits, faits généraux, il est vrai, mais qu’il est assez facile de constater. Pourquoi donc les partisans des restrictions n’en tiennent-ils pas compte ? Sera-t-il dit qu’à leurs yeux les faits particuliers ou de détail mériteront seuls quelque créance ?

  1. Voyez Codben et la ligne, par M. Frédéric Bastiat. — Introduction.
  2. Philosophie des Manufactures, par Andrew Ure.