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le royaume infini de la vérité tient tout entier dans les étroites limites de sa tête et de son système, prenant tout ce qui dépasse pour folie et pour absurdité. Celui-là est un esprit bien médiocre qui ne sait pas reconnaître que des idées et des enseignemens qui ont eu jadis une autorité si sacrée devaient pourtant répondre à quelque besoin du cœur et contenir quelque bon principe. »

Dirigés avec cette prudence entre le dogmatisme de l’ancienne orthodoxie et le dogmatisme des philosophes, les amis protestans ont, en peu d’années, fait un grand chemin. Ils ont multiplié leurs réunions générales soit à Coethen, soit à Halle, au centre des lignes de fer de l’Allemagne du nord ; ils ont fondé partout des réunions auxiliaires, évitant toujours les discussions, à l’opposé des rongiens, qui les cherchèrent, s’appliquant à les concentrer quand elles étaient inévitables, procédant volontiers par voie d’instructions populaires, et s’efforçant de propager des notions rationnelles sur les principaux points de la croyance religieuse, au lieu de décréter des canons. Dès 1843, il y eut quatre mille abonnés aux Feuilles d’édification ; à Magdebourg, la grande salle de la bourse ne pouvait contenir les auditeurs ; à Halle, il fallut établir deux conférences par jour, l’une pour la masse du public, l’autre pour les lettrés. Halle même était cependant disputé par les plus énergiques résistances à la domination des amis. Comme il arrive souvent, c’était au cœur de leur empire qu’ils avaient à soutenir le plus rude assaut. Quelques individus isolés, M. Guericke, mais surtout M. Leo, relevaient tant qu’ils pouvaient le drapeau du passé dans cette université tout entière emportée vers la réforme. Comment auraient-ils réussi ? Le séminaire évangélique, surveillé par le rigide Harnish, qui voulait absolument former des pasteurs orthodoxes, n’avait empêché personne de suivre le siècle. Les pasteurs se trouvaient en communication toujours plus intime avec leurs troupeaux ; les laïques s’immiscèrent ainsi de plus en plus aux choses de l’église : on les vit prendre fait et cause pour toutes les questions de juridiction ecclésiastique ; la communauté de Halle intervint auprès du roi lui-même en faveur de Wislicenus, l’un de ses chefs spirituels. Ce fut ainsi qu’on s’attaqua bientôt à la hiérarchie, gardienne naturelle du dogmatisme ; on réclama de toutes parts, avec une force toujours croissante, une constitution meilleure pour l’église ; on demanda que les fidèles ne fussent plus si fort éloignés du prêtre, ni le prêtre lui-même si fort soumis au gouvernement.

L’agitation eut ainsi un double but : elle prétendit ramener tout l’ordre religieux à sa simplicité première, soit quant au fond même de la croyance, soit quant à l’exercice du pouvoir spirituel ; on voulut trancher tous les compromis et toutes les réticences, non point par amour des extrêmes, mais au nom de la bonne foi, mais par un sincère désir