Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étudié aux sources et mieux compris ; on ne s’en est plus tenu à une intelligence morte de la lettre, on a galvanisé pour un instant la tragédie grecque, et le public de Berlin a trouvé un écho, à Paris quand son enthousiasme a salué l’Antigone de Sophocle par des applaudissemens non moins sincères que ceux des Athéniens. Sans doute, ces représentations en miniature dans des salles sourdes et éclairées avec des quinquets, ces acteurs grêles, sans dignité et sans voix, cette pompe d’oripeaux, ces figurans gauches et enroués, cette langue rude qui marche péniblement dans les entraves d’une traduction comme un bœuf à la charrue, cette musique trop préoccupée des plaisirs et des habitudes de l’oreille pour s’élever jusqu’à une inspiration véritablement religieuse, ne nous donnent qu’une idée bien imparfaite du caractère solennel et mystique du drame antique, et cependant, après avoir entendu une de ces médiocres traductions, si pauvrement mises en scène et si mal déclamées, on comprend beaucoup mieux le théâtre tragique des Athéniens et la place qu’il occupait dans leurs institutions.

Malheureusement ce commentaire vivant manquera toujours à la comédie grecque ; le ridicule tient à des contrastes trop dépendans des idées du temps pour être senti à vingt-trois siècles de distance par un public animé de sentimens entièrement différens. Pour apprécier toutes les railleries d’Aristophane, ce ne serait pas assez que de recréer, par un acte d’érudition, la société athénienne avec ses vices, ses passions et.ses amusemens ; il faudrait se dépouiller de tout ce qu’il y a de moderne dans sa personnalité et dans son intelligence, et on a beau se faire par ses études un homme du passé, on reste, au moins par le rire, de son siècle et de son pays. Cette appréciation rétrospective est même ici d’autant plus difficile, que des préjugés presque universels ôtent à l’esprit toute sa liberté de sympathie. Aristophane lança contre Socrate de vives moqueries qui se retrouvent sous une forme plus grave dans les accusations de Mélitus, et, depuis qu’elle a pris Socrate pour une sorte de patron philosophique, l’opinion littéraire en garde rancune à la comédie grecque elle n’y veut voir qu’un grossier libelle où l’esprit et la poésie ne servaient qu’à rendre la diffamation plus dangereuse et plus condamnable. Depuis quelques années enfin, on discute avec une critique plus large et plus indépendante les questions si importantes pour l’histoire du drame et de la philosophie qui naissent de la comédie des Nuées, et, quoique encore bien peu satisfaisans, les ouvrages dont nous avons écrit les titres en tête de ce travail, témoignent de ce retour à une étude sérieuse des sources[1].

M. Richter et M. Pol ont entrepris une réhabilitation systématique d’Aristophane,

  1. La dissertation académique de Zimmermann, De Neceaaitate qua judices coacti, fuerunt capitis damnare Socratem, Clausthaliae 1835, in-4o, est trop maigre et trop pauvre pour qu’on lui puisse accorder aucune importance.