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aux autres. Le repos de la conscience n’existe que pour les herbivores : les carnassiers, le lion, le tigre, la panthère, le jaguar, sont sans cesse inquiets, fiévreux ; la peau de leur face se plisse douloureusement leur sommeil même est agité ; on croirait qu’ils éprouvent le tourment du remords. La voix de quelques animaux féroces imite les cris de leurs victimes. Quelle différence entre cet état d’irritation et la paix de l’agneau ! Son ame, s’il en a une, est pure et tranquille, comme le courant d’eau claire auquel il va se désaltérant. Les mœurs des carnassiers sont dures, leur amour même s’empreint d’un caractère sauvage ; le lion amoureux enfonce sa griffe au front de la lionne : cette prise de possession contraste avec les alliances, si douces et souvent si fidèles des herbivores. Nous croyons qu’il existe ici une raison indépendante de la nourriture et déterminée par les fins dernières : la nature n’a pas seulement donné aux animaux carnassiers les armes matérielles pour attaquer et détruire leur proie ; elle leur a donné, en outre, ces instincts, furieux, ces passions terribles, ces traits crispés, qui frappent leur victime de terreur et lui font sentir d’avance le froid de la mort. .M. Gléïzès ne tient aucun compte de cette cause préexistante ; continuant son parallèle, il trouve que les bouchers, les charcutiers, ont absolument tous les caractères qui distinguent les animaux de proie. Leur teint, selon lui a la couleur du sang répandu ; leurs voix reproduit les sons rauques et glutturaux des bêtes féroces. Leurs femmes, leurs filles même, ont une fraîcheur saignante qui éloigne les cœurs délicats. On pense bien que les chasseurs ne trouvent pas non plus grace à ses yeux : ils ramènent l’ancienne barbarie. La chasse réclame en outre l’usage de la ruse et de la fourberie ; or, selon M. Gleïzès, l’homme qui trompe l’alouette des champ pour l’attirer dans ses lacs trahir, au premier jour, son ami et sa maîtresse. Si l’auteur exagère la méchanceté de ceux qui mettent à mort les animaux, il voit également les mangeurs de chair à travers les verres grossissans de son indignation. Le régime sanglant héhête les organes, émousse la pointe délicate de nos sentimens, enlève à l’esprit cette seconde vue qui est chez l’homme comme un sixième sens. Celui qui se nourrit de chair ressemble aux animaux, et plus particulièrement à l’animal dont il fait sa nourriture habituelle. Les peuples ichthyophages ont la peau truitée, ou quelquefois d’un blanc mat, comme celle du ventre des poissons : on les prendrait volontiers pour des chiens de mer. Vous qui mangez de la viande, vous portez en vous un Néron, un Tibère, pis que cela, un tigre dissimulé par les circonstances ; sans le respect humain qui vous tient la bouche muselée, vous dévoreriez un beau jour votre mère ou votre enfant ! Arrêtons-nous, le sourire dispense ici de la discussion.

Si, comme nous venons de le voir, le régime sanglant pervertit tous nos instincts, le régime contraire exerce, selon M. Gleïzès, outre cette