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Bien loin de se convertir en bête, l’homme change au contraire la chair des animaux en sa propre substance, il les fait ce qu’il est lui-même. Si l’homme porte toute la nature dans son sein, ce n’est donc pas qu’il en soit le tombeau, comme le croyait M. Gleïzès ; il en est au contraire le moule vivant ; la matière végétale et animale ne vient s’engloutir dans ce moule que pour en renaître intelligente. Si l’homme s’empare, en un mot, de la création tout entière, c’est afin de se communiquer à elle et de lui donner une ame.

La seule conclusion pratique sui sorte de l’ouvrage de M. Gleïzès, c’est qu’il faut adoucir pour les animaux alimentaires la nature du supplice et réduire le nombre des victimes. Ce couteau qui parcourt incessamment la terre ne doit-il pas rencontrer de limites ? Nous devons suivre, dans le choix des animaux qu’il est nécessaire de mettre à mort, les indications de notre conscience. Il a existé autrefois plusieurs peuples qui se nourrissaient de la chair des lions, des panthères et des ours ; les sauvages du Nouveau-Monde mangent des singes. Chez les nations civilisées, la répugnance de l’homme pour la chair des animaux augmente à mesure qu’ils se rapprochent de son espèce. Quelques chasseurs, ayant tué un orang-outang, furent si touchés des derniers instans de cet homme des bois, qu’ils se reprochèrent sa mort comme un véritable assassinat. On éprouve même quelque remords à tuer les animaux domestiques, avec lesquels on a long-temps vécu, qui sont devenus nos familiers, nos amis : il semble que nous ayons mis quelque chose de nous-mêmes dans ces créatures capables de sentiment. Souvent on s’intéresse aux animaux sauvages victimes de la chasse, et, si la pêche n’excite pas chez nous la même compassion, c’est que les poissons, vivant dans une atmosphère différente de la nôtre, sont pour nous comme des étrangers, des êtres d’un autre monde. Il faut aussi faire entrer en ligne de compte les influences des climats. Le goût de la viande diminue chez l’homme à mesure qu’on avance vers les contrées plus chaudes et plus fertiles, où la vieille Cybèle a pourvu de ses mains libérales à la nourriture de ses enfans. Si le soleil verse, même sous notre ciel, pendant l’été, la soif des fruits et des légumes, c’est que la chaleur, combinée avec un sang trop animalisé par le suc des viandes, peut engendrer des maladies pernicieuses. Cette répugnance des méridionaux pour la viande, répugnance qui s’étend dans nos contrées pendant les grandes chaleurs, est, sans aucun doute, un avertissement de la nature. L’homme n’échappe pas aux lois de son climat.

La race celtique doit une partie de sa supériorité à l’excellence de son alimentation ; la science constate en effet que la base de la nourriture de l’homme, c’est le pain e le vin. Ces deux substances eucharistiques ont entretenu la force et la vigueur des enfans de la Gaule, comme elles ont établi dans l’antiquité la puissance des Romains sur toute la terre.