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passage de l’homme dans ces solitudes, où il n’existe pas une seule pierre à feu, et qui se compose de deux morceaux de bois : l’un, d’une substance molle et spongieuse, présente une cavité dans laquelle s’introduit l’autre morceau, qui est d’un bois dur et serré ; on fait tourner le dernier avec une grande vitesse, et bientôt jaillissent des étincelles que l’on reçoit sur des feuilles sèches. Les pieux voyageurs, en s’éloignant, pensent à l’étranger qui viendra frapper à la cabane déserte, et, sans le connaître, ils exercent à son égard la plus touchante hospitalité : ils lui laissent l’instrument qui réchauffera son foyer, ils alimentent la fontaine qui lui donnera de l’eau, et abandonnent au cocotier du rivage le soin de le nourrir. Le cocotier est en quelque sorte la providence de ces insulaires : ses feuilles mortes couvrent leurs maisonnettes, ses feuilles vivantes leur donnent un doux ombrage ; sa tige élevée devient une colonne qui soutient leurs toits, ou s’élance en forme de mât sur leurs barques ; ses fruits sont enveloppés d’une écorce qui se façonne en cordages et fournit à leurs couches un épais duvet ; à la naissance des palmes se forme une toile serrée, un tissu léger qui suffit à la pudeur et convient au climat. Sa noix est un vase naturel qui devient sans peine une coupe gracieuse ; l’eau qu’elle contient passe successivement, selon l’âge du fruit, de la fraîche insipidité de l’eau de fontaine à la saveur la plus sucrée ; son amande est un aliment agréable et nourrissant ; elle fournit aussi une huile qui adoucit les alimens des Maldivois et éclaire leurs cases. Cependant la production la plus merveilleuse de cet arbre sacré, c’est une liqueur que l’on tire par incision des rameaux qui doivent porter le fruit. Je ne connais point de breuvage plus parfumé, plus rafraîchissant ; les Indiens lui donnent le nom de calou. Depuis, j’ai goûté de cette liqueur à l’île Maurice ; mais quelle différence ! on dirait que le cocotier a perdu avec son climat natal ses plus précieuses qualités.

Je revins à bord avec ma chasse, un peu honteux de ma trop facile cruauté. Toute la nuit se passa au large, et le lendemain on signala les terres qui précèdent l’île du sultan, capitale de tout l’archipel. La mer était belle, la brise légère, le soleil éclatant ; nous étions tous dans une vive attente ; enfin nous allions voir sortir des eaux cette reine d’Orient. Elle parut... Comment la reconnaître dans sa simplicité ? Qu’étaient devenus ses palais, cette pompe dont l’avaient revêtue le récit mensonger des insulaires et notre crédule imagination ? Une vieille muraille noircie par le temps formait sa ceinture, elle était couronnée d’une espèce de citadelle que vous eussiez prise de loin pour un de ces rochers assis au bord de la mer, et qui sont là pour servir de nid aux oiseaux du rivage. Rien d’ailleurs ne la distinguait des autres îles qui lui servent de cortège, et, pendant que nos bons Maldivois nous la désignaient avec orgueil, nous la regardions d’un air surpris et abattu.

A six heures du soir, nous étions devant le port. Nous y cherchâmes