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Bono ! bono ! lui dis-je, et je rentrai pour engager l’esclave à remettre son masque, ce qu’elle fit.

Mustapha plaça la table, posa dessus une nappe de drap vert, puis, ayant arrangé sur un plat sa pyramide de pilau, il apporta encore plusieurs verdures sur de petites assiettes, et notamment des koulkas découpés dans du vinaigre, ainsi que des tranches de gros oignons nageant dans une sauce à la moutarde ; cet ambigu n’avait pas mauvaise mine. Ensuite il se retira discrètement.


IV. – PREMIERES LECONS D’ARABE

Je fis signe à l’esclave de prendre une chaise, — j’avais eu la faiblesse d’acheter des chaises ; — elle secoua la tête, et je compris que mon idée était ridicule à cause du peu de hauteur de la table. Je mis donc des coussins à terre et je pris place en l’invitant à s’asseoir de l’autre côté ; mais rien ne put la décider. Elle détournait la tête et mettait la main sur sa bouche : « Mon enfant, lui dis-je, est-ce que vous voulez vous laisser mourir de faim ? »

Je sentais qu’il valait mieux parler, même avec la certitude de n’être pas compris, que de se livrer à une pantomime ridicule. Elle répondit quelques mots qui signifiaient probablement qu’elle ne comprenait pas, et auxquels je répliquai : « Tayeb. » - C’était toujours un commencement de dialogue.

Lord Byron disait par expérience que le meilleur moyen d’apprendre une langue était de vivre seul pendant quelque temps avec une femme ; mais encore faudrait-il y joindre quelques livres élémentaires, autrement il est bien difficile de retenir des mots sans les écrire, et l’arabe ne s’écrit pas avec nos lettres, — ou du moins ces dernières ne donnent qu’une idée imparfaite de la prononciation. Quant à apprendre l’écriture arabe, c’est une affaire si compliquée, à cause des élisions, que le savant Volney avait trouvé plus simple d’inventer un alphabet mixte, dont malheureusement les autres savans n’encouragèrent pas l’emploi. La science aime les difficultés, et ne tient jamais à vulgariser beaucoup l’étude ; si l’on apprenait de soi-même que deviendraient les professeurs ?

Après tout, me dis-je, cette jeune fille née à Java suit peut-être la religion hindoue ; elle ne se nourrit sans doute que de fruits et d’herbages. Je fis un signe d’adoration, en prononçant d’un air interrogatif le nom de Brahma ; — elle ne parut pas comprendre. Dans tous les cas, ma prononciation eût été mauvaise sans doute. J’énumérai encore tout ce que je savais de noms se rattachant à cette même cosmogonie ; c’était comme si j’eusse parlé français. Je commençais à regretter d’avoir