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fermier du Canada trouvait un avantage inappréciable à jeter ses blés sur le marché anglais, où ils arrivaient protégés, comme ceux de l’Angleterre elle-même, contre les céréales du continent; la concurrence libre de l’importation va briser ce premier lien. Les progrès de la doctrine du libre échange ont amené quelques modifications dans le tarif des douanes anglaises, et permettent aux états du nord de l’Europe d’acheminer leur bois de charpente vers les docks de la Grande-Bretagne. Par là s’embarrasse et s’engorge déjà, par là se doit clore tôt ou tard un des principaux débouchés du commerce anglo-canadien, et cette hypothèse est si loin d’être improbable, qu’elle a semé l’effroi parmi les timber-merchants de la colonie anglaise. Ils annoncent à grands cris leur banqueroute inévitable, et les agriculteurs désolés répondent à cette clameur par des plaintes amères contre Cobden et ses adhérens <ref England in the New World, t. 1, p. 257. </ref>>.

Ces craintes, ces douleurs, ces lamentations de l’intérêt lésé ou qui croit l’être, sont naturellement exagérées. De manière ou d’autre, les blés et les bois du Canada trouveront des consommateurs, voilà qui ne peut être mis en doute ; mais les rapports de l’Angleterre et de ses colonies nord-américaines doivent se trouver considérablement modifiés par la rupture successive de leurs rapports commerciaux. L’Amérique, tout au contraire, est appelée à multiplier les siens avec le Canada. Vainement les tarifs actuels de la confédération interdisent-ils l’entrée des produits canadiens, soumis aux mêmes droits que ceux de l’Angleterre elle-même. L’étendue des frontières ne permet pas aux douaniers de faire respecter ces lois rigoureuses, et la contrebande, organisée en grand, se joue des obstacles qu’on voudrait lui opposer sur une ligne de douze cents milles, presque toute en forêts ou en courans navigables. Ainsi le mouvement du commerce, favorisé par la similitude des langues, l’identité des races, l’analogie des croyances, tend à l’accession finale des deux Canadas dans la grande ligue américaine. Ce fait est de ceux que l’on n’a aucun mérite à prévoir, et auxquels tous les esprits sagaces sont préparés depuis long-temps, lorsque l’heure sonne où ils s’accomplissent.

Remarquez d’ailleurs que l’Angleterre aura tous les jours un intérêt moindre à la conservation de ces colonies lointaines, auxquelles, on s’en doute du reste, elle ne porte d’autre affection que celle d’un marchand bien avisé pour d’excellentes pratiques. Les statisticiens ont établi ce fait important : chaque habitant du Canada consomme quatre fois plus de marchandises anglaises qu’un citoyen des États-Unis; mais, naturellement, la cause de cette différence est dans le commerce d’exportation, très considérable et très favorisé, que les colonies nord-américaines faisaient jusqu’ici avec la métropole. Leurs exportations et leurs