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Dans un avenir non moins prochain, les états du nord, arrivés au même degré de civilisation que la plupart des grandes communautés européennes, doivent aspirer à un régime politique analogue. Les classes s’y séparent, de plus en plus elles seront animées d’un esprit différent, à mesure que les lumières deviendront le monopole des riches, et que les pauvres sentiront davantage l’influence énervante de la misère. La turbulence des masses amènera pour la bourgeoisie la nécessité de se constituer et de faire prévaloir ses droits exclusifs au gouvernement de l’état. Les riches et ceux qui ont besoin d’eux se rangeront sous le même drapeau contre l’indigence révoltée. Bref, une aristocratie commerciale et militaire doit se former, et, sous ses auspices, une dynastie constitutionnelle occuper le nouveau trône que rêve notre voyageur. Il est loin de penser, nous l’avons déjà vu, que l’ouest participe à cette organisation monarchique, et c’est là qu’il relègue les derniers débris du républicanisme américain.

Ainsi une monarchie absolue, une monarchie tempérée, un état démocratique, voilà ce qui resterait de cette Union colossale, brisée par sa prospérité même, et par la substitution de nouveaux intérêts à ceux qui l’ont jusqu’à présent maintenue. Les changemens introduits dans la balance du pouvoir, la suprématie future de telle ou telle portion des états, et, par conséquent, la victoire de tels ou tels principes, de tels ou tels intérêts, aujourd’hui combattus, équilibrés par des principes et des intérêts contraires, doivent amener la division de cette grande unité démocratique en autant de fractions qu’il existera d’états assez puissans pour n’avoir pas besoin de la protection fédérale.

Alors même que toutes ces hypothèses plus ou moins gratuites, et appuyées de déductions plus ou moins rigoureuses, viendraient à se réaliser de point en point, nous ne voyons pas que les possessions anglaises dans le nord de l’Amérique dussent nécessairement échapper au sort que nous leur prédisions plus haut. Ainsi, cette impuissance militaire des États-Unis actuels, que notre auteur lui-même attribue à l’influence des principes démocratiques, — jalousie du pouvoir exécutif, aversion des taxes directes, — cette impuissance cesserait pour les états du nord aussitôt qu’ils seraient constitués en monarchie constitutionnelle. Comme tous les autres états soumis à ce régime, celui-ci aurait besoin de forces régulières, d’armée permanente, soit pour se défendre contre les états voisins, soit pour comprimer, au profit des castes privilégiées, l’hostilité des prolétaires et de la démocratie. Or, aussitôt qu’une armée régulière existera sur le continent américain, surtout dans les régions voisines du Canada, l’Angleterre ne doit plus songer à défendre une province lointaine, sur l’affection de laquelle il serait insensé de compter, et qui trouvera toujours son avantage à se