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Les Chutes de Montmorency, situées à une heure de Québec, sont, en hiver comme en été, le but de plus d’une promenade, de plus d’un joyeux pique-nique. On y va voir, au centre d’une grande baie, bordée de rochers élevés, les eaux du Saint-Laurent franchir tout à coup un de ces énormes degrés qui les conduisent à l’Océan. Celui-ci, parodie du Niagara, n’a pas en hauteur plus de deux cent cinquante pieds. Un petit rocher, placé près de l’endroit où les eaux se précipitent, est constamment arrosé de leur écume jaillissante, qui, durant l’hiver, y gèle à mesure qu’elle y arrive. Peu à peu ce cône de granit reçoit ainsi des couches de glace qui vont épaississant chaque jour, et finissent par former une véritable montagne russe, de quatre-vingts à cent pieds d’élévation, qu’il est assez hardi de descendre dans un petit siège à fond plat (tarboggin), au risque de buter contre quelque obstacle imprévu, et de rouler avec la rapidité de la flèche jusque sur les glaces du fleuve. C’est là le principal plaisir de cette promenade, et les dames, à qui sont interdits, par les convenances, les dangers d’une pareille expédition, s’en consolent en se faisant pousser sur une autre pente beaucoup moins élevée et beaucoup moins raide. On goûte ensuite sur la neige, tant bien que mal recouverte de peaux de buffle en guise de tapis; les sandwiches passent à la ronde; le vin de Champagne, naturellement frappé, répond par ses joyeuses détonations à l’imposante voix de la cascade, et, dans de pareilles circonstances, un gentleman, — fût-il d’ailleurs aussi épris de ses aises que ses plus difficiles compatriotes, — se déclare parfaitement « comfortable. » Le témoignage de l’auteur d’Hochelaga ne laisse aucun doute sur ce point.

Il est vrai que cet intrépide voyageur, si contrarié au début par les moindres inconvéniens de la navigation, s’habituait peu à peu à de bien autres malaises. Lui deuxième, vers la fin de son premier hiver à Québec, il entreprit une chasse à l’orignal (moss-deer, c’est une variété du cervus alces ou élan). Ces superbes animaux reculent devant l’homme civilisé qui les refoule chaque année dans des régions plus lointaines. Il faut les aller chercher, en compagnie de guides indiens, à plus de soixante milles au nord-ouest de Québec, par-delà les districts les plus déserts. Les routes, d’abord larges et commodes, deviennent, à mesure qu’on s’éloigne des villes, autant de chemins rompus, hérissés de troncs d’arbres, à peine ouverts dans la profondeur des forêts. Quand ils sont, de plus, recouverts par cinq pieds de neige, on peut se faire une idée des difficultés qu’ils présentent au voyageur. Il n’est pas rare que, deux traîneaux venant à se rencontrer dans une de ces étroites avenues, l’impossibilité de se faire place ou de tourner bride les oblige à passer de force l’un contre l’autre, chacun essayant de culbuter son vis-à-vis. En pareil cas, les voyageurs renversés roulent en jurant sur la neige; puis, prenant leur parti, s’entr’aident à se contre-passer.