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les mots hébraïques. — Tyr et Sidon étaient les principales cités du littoral de la Phénicie. Carthage fut une de leurs colonies. De là le nom Pœni de ses habitans, qui n’est presque que le nom Phœni corrompu. La langue dont ils font usage est en grande partie semblable à la langue hébraïque. » Un autre écrivain, Priscien, nous dit de même : « La langue punique, qui est tout-à-fait voisine des langues chaldéenne, hébraïque et syriaque, ne connaît pas le genre neutre. » Enfin saint Jérôme s’exprime ainsi : « Nous ne pouvons nous servir de la langue hébraïque ; mais nous devons employer la langue cananéenne, qui tient le milieu entre la langue égyptienne[1] et la langue hébraïque, et se confond en grande partie avec la langue hébraïque. »

Ces témoignages sont, on en conviendra, bien suffisans pour que l’on puisse concevoir l’espérance d’arriver, à l’aide de l’hébreu, au déchiffrement des textes phéniciens et puniques. Quant à l’époque jusqu’à laquelle la langue punique fut employée en Afrique, des témoignages non moins explicites nous défendent de la faire remonter bien haut. Augustin, le saint évêque d’Hippone, nous apprend que, dans son diocèse, la plus grande partie des habitans de la campagne ne connaissait pas d’autre langue que le punique, et Procope affirme que, de son temps (c’est-à-dire dans le VIe siècle), les Maures qui habitaient la Libye jusqu’aux colonnes d’Hercule ne parlaient que la langue phénicienne φοινίϰων γλοσσην (phoinikôn glossên). On a souvent prétendu que des traces de l’idiome phénicien s’étaient conservées dans certaines contrées de l’Europe, mais ce sont là de ces opinions paradoxales qui ne peuvent supporter un examen sérieux ; ainsi, par exemple, les écrivains irlandais ont affirmé que leur langue n’était autre chose que du phénicien corrompu. Des Maltais ont revendiqué le même honneur pour leur patois arabe, qui n’a qu’un mérite, celui de constater les racines profondes jetées sur le sol maltais par l’idiome des dominateurs musulmans. J’ai pu moi-même, à mon passage à Malte, reconnaître que ce prétendu phénicien n’était que de l’arabe horriblement corrompu, mais assez facile à comprendre ; je me suis convaincu aussi que l’arabe vulgaire semblait parfaitement clair au premier paysan venu des nombreux casali parsemés dans l’île. Je ne prétends pas dire toutefois que, dans certains noms de localités maltaises, il n’existe plus le moindre vestige de la langue punique, car j’ai pu me convaincre du contraire : ainsi, près du casale Krendi, se trouve une colline élevée nommée Djehel-Khèm (montagne de Khèm), sur laquelle on a, depuis quelques années, découvert un sanctuaire phénicien digne en tout point de l’attention des archéologues, et qui

  1. Probablement une erreur de copiste s’est glissée dans ce passage, et le mot égyptienne doit être remplacé par le mot araméenne, ainsi que l’a fait très judicieusement observer Gesenius.