Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/1075

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langue sémitique et dans laquelle par conséquent les radicaux étaient trilittères, si, dans un groupe de trois lettres dont la signification était à peu près connue à l’avance, une seule de ces lettres représentait une articulation encore inconnue, tandis que les deux autres l’étaient déjà, la comparaison avec le radical hébraïque ayant le même sens devait, par une présomption toute naturelle, faire trouver la valeur du caractère encore inconnu. C’est ainsi que de proche en proche on est parvenu à compléter l’alphabet phénicien, dont tous les signes ont été déterminés à l’aide de cent faits positifs, et non pas d’une seule coïncidence qui aurait pu provenir d’une pure illusion. En d’autres termes, l’alphabet phénicien a été contrôlé de tant de façons par les philologues, à l’aide de faits matériels contre lesquels il n’était pas possible de s’élever, que cet alphabet est aujourd’hui fixé et connu tout aussi nettement que les alphabets grec et latin. Il est donc maintenant possible, pour quiconque veut s’en donner la peine, de transcrire un texte phénicien quelconque. Il n’en est malheureusement plus de même lorsqu’il s’agit de l’interpréter : pour en venir là, il faut se servir des langues congénères dont les lexiques sont en notre possession, et particulièrement de la langue hébraïque, qui était naturellement la plus rapprochée de la langue phénicienne, puisque les races qui parlaient ces deux langues étaient les plus voisines de toutes celles qui se rattachent à la même souche sémitique. Or, chacun sait que l’hébreu ne nous est réellement connu qu’assez imparfaitement, que les dictionnaires n’ont été faits qu’à l’aide du dépouillement des textes sacrés opéré la plume à la main ; il en résulte qu’il peut fort bien se rencontrer dans les textes phéniciens des expressions qu’il restera toujours impossible d’assimiler à des radicaux hébraïques, chaldéens, syriaques ou arabes, parce que ces langues ont pu ne pas faire usage d’un radical primitif dont le phénicien seul aura conservé la trace. Dès-lors, espérer que l’on traduira d’une manière indubitable et facile tous les mots sans exception que pourra présenter un texte phénicien, ce sera toujours concevoir une espérance vaine et que la première tentative fera évanouir, si l’on cherche la vérité de bonne foi.

En résumé, un texte phénicien étant donné, on peut très aisément et très sûrement en transcrire tous les mots, lettre par lettre, en écriture hébraïque. On peut ensuite en traduire la plus grande partie à l’aide du lexique des langues congénères ; mais dans ce travail il doit forcément rester des points sur lesquels on ne peut s’exprimer qu’avec une réserve entière, si l’on veut ne pas s’écarter des lois de la saine critique.

Tout ce que je viens de dire des monumens de la langue phénicienne s’applique évidemment, sans la moindre restriction, à ceux de la langue