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que dans les premiers momens de son dépit, lord Palmerston a voulu lui attribuer ; ils savent bien que l’Angleterre ne se trouve ni désarmée, ni affaiblie, parce qu’un prince français a épousé une infante d’Espagne : seulement ils éprouveraient un véritable déplaisir, s’il leur était prouvé que dans cette circonstance le gouvernement français n’aurait pas eu tous les ménagemens, tous les égards auxquels a droit une alliée comme l’Angleterre. En tout ce débat, la question des procédés tiendra le premier rang la forme emportera le fond. Dans quelques semaines, les deux parlemens de la France et de la Grande-Bretagne seront saisis de toutes les pièces du procès. Pour savoir toute la vérité, il n’y a plus long-temps à attendre. Nous ferons aujourd’hui une simple réflexion, ou plutôt nous évoquerons un souvenir. Durant ces dernières années, que lord Palmerston a passées dans l’opposition, ne retrouve-t-on pas, au fond de la plupart des discours par lesquels il attaquait ses adversaires, cette idée, que la politique de lord Aberdeen était trop favorable à la France, et que le ministre tory avait pour nous des complaisances qui ressemblaient à des duperies ? Ce n’est pas là, tant s’en faut, le jugement qu’on a porté en France sur les actes de lord Aberdeen, mais enfin telle était l’opinion que lord Palmerston, dans les accès de son patriotisme et dans les intérêts de son parti, travaillait à accréditer. Quand il est revenu aux affaires, n’a-t-il pas laissé échapper, avec, une sorte de satisfaction orgueilleuse, la pensée qu’enfin l’Angleterre allait cesser d’être dupe ? Comment concilier des dispositions semblables et de tel précédens avec la prétention de n’avoir rien fait qui pût altérer la bonne intelligence entre les deux pays ?

Si les chambres anglaises ne s’assemblent qu’au mois de février, notre gouvernement aura l’initiative des explications parlementaires. C’est pour le cabinet une épreuve grave et solennelle. Il y a quatre mois, il était en face d’une majorité nombreuse, nouvellement élue, qui comptait mettre à profit la sécurité profonde dont jouissait le pays, en accomplissant de sages réformes, d’utiles améliorations. Tout le monde paraissait d’accord, ministère, majorité, opposition constitutionnelle, pour faire fructifier la paix et la liberté. C’est dans des circonstances bien différentes que le cabinet va se retrouver en face de la même majorité, qui ne laissera pas que d’être surprise et quelque peu émue du grave changement survenu en si peu de temps dans les choses. Cette paix générale si religieusement respectée par le gouvernement de 1830, est ébranlée par trois grandes puissances qui nous contraignent à les rendre responsables dans l’avenir de toutes les conséquences que peut entraîner la violation des traités. Notre alliance avec l’Angleterre, qui était depuis seize ans le pivot de notre politique extérieure, se trouve aujourd’hui, sinon détruite, du moins entravée et paralysée. Il faudra exposer à la majorité la raison de tous ces changemens. Ce n’est que par la netteté de ses explications que le ministère s’assurera le sincère concours du parlement. Il faut pour ainsi dire qu’il conquière de nouveau la majorité, qu’il l’éclaire, qu’il la persuade, qu’il porte dans son esprit une vive conviction sur la rectitude de la conduite qui a été tenue depuis la séparation des chambres. Les hommes expérimentés de l’opposition comprendront, comme nous, qu’ils ne sauraient devancer par leurs critiques les explications du cabinet. Ils doivent attendre, pour se prononcer, la production des pièces. C’est seulement par l’étude et par le rapprochement des faits qu’ils pourront rassembler les élémens d’un jugement vraiment politique. Dans ces questions épineuses et délicates, où