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des sillons incorrects, dont la plus grande profondeur est de 10 centimètres. Après cette opération, l’Arabe attend la moisson, qui lui procure par hectare de 10 à 12 hectolitres d’un grain chétif et racorni. Or, si l’on considère qu’un seul Arabe peut cultiver de la sorte environ 16 hectares, on comprendra que, dans les bonnes années, les blés indigènes soient offerts à des prix excessivement bas.

Il est évident néanmoins qu’un système de culture aussi sauvage est limité, que les indigènes ne sauraient établir une concurrence régulière, et proportionner leurs produits aux besoins toujours croissans des étrangers. Leurs prix de vente se rapprochent peu à peu des cours du commerce européen[1]. Le prix moyen de l’hectolitre de blé a été l’année dernière de 17 fr. 10 cent. à Alger, de 20 fr. à Mostaganem, de 21 fr. à Mascarah, de 30 fr. à Bouffarik. Quoique considérable, l’offre des indigènes est insuffisante, et d’ailleurs trop irrégulière pour qu’on en fasse la base de l’approvisionnement. Les Arabes ont apporté sur les vingt-cinq marchés algériens 132,046 hectolitres de blé en 1844, et l’année suivante 203,785 hect. Il y a à déduire sur ces apports la portion livrée à la vente pour la consommation des Africains établis dans les villes. L’excédant, s’il y en a, ne représente plus qu’une très faible portion de la consommation européenne ; en effet, la population civile et militaire, population composée presque entièrement d’adultes, s’élève à plus de 210,000 têtes : évaluer ses besoins à 420,000 hectolitres, ce serait peu dire pour un pays où la mouture, très défectueuse, cause une déperdition énorme. Aussi l’approvisionnement repose-t-il en grande partie sur les farines envoyées par le commerce de Marseille. 142,000 quintaux métriques d’une valeur de 2,800,000 francs et 47,298 hectolitres de grains ont été ainsi expédiés de France, sans compter les importations directes des autres pays. Cette situation se trouve résumée dans un mémoire récemment adressé au roi par un témoin respectable autant que zélé. « Nous sommes aujourd’hui en Afrique, dit l’abbé Landmann, près de (il faudrait dire plus de) 200,000 hommes, civils et militaires, et, dans le cas d’une guerre maritime qui intercepterait pendant six mois seulement les arrivages dans nos ports, nous serions réduits à une affreuse famine. Tout le blé nous vient de la mer Noire[2]. Sans ce blé, il y a long-temps que nous aurions été obligés d’abandonner

  1. Exception doit être faite pour la province de Constantine, où les blés arabes abondent, quoique les besoins soient peu considérables. Les cours n’y ont pas dépassé l’année dernière l’ancien prix de 10 francs l’hectolitre. Aussi cette province, quoique la plus fertile et la plus calme, offrira-t-elle peu de ressources aux cultivateurs européens, jusqu’à ce que des communications faciles aient été établies. Aujourd’hui le prix du transport écrase tellement la denrée, qu’arrivée à Alger, elle n’y pourrait plus soutenir la concurrence des blés d’Odessa.
  2. La plus grande partie des blés de la mer Noire est convertie en farines à Marseille.