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s’agenouillât devant elle, et elle va savoir enfin que tout cela n’est qu’un jeu. Un jeu ! À ce mot pourtant, ce cœur dévoué, ce cœur si humble, si aimant, si prompt au sacrifice, le cœur de Griseldis se révolte. Quoi ! ce n’était qu’un jeu ! Quoi ! ces humiliations odieuses, ces coups sans pitié frappés l’un après l’autre, quoi ! tant de maux accablans, c’était une comédie ! Son amour si sincère, si profond, a été l’objet d’un pari cruel !

PERCEVAL.

Tu l’as dit, c’était une épreuve ; la voilà terminée. Ton enfant est sauvé, ton père est libre, tout ton bonheur t’est rendu. A ton tour, pardonne ! Ne pense plus à ce jeu qui a éprouvé ce que tu vaux ; il est fini maintenant. Oublie tout, pardonne tout.

GRISELDIS.

Un jeu ! et moi… Ah ! ce fut un jeu bien dur et plein de larmes !

PERCEVAL.

Tu pleures ! sèche tes larmes. Ils voulaient m’humilier à cause du choix que j’ai fait, parce que tu es née au milieu des bois, parce que ta beauté m’est apparue au milieu de la misère ; mais moi, à l’éclat de leurs noms orgueilleux, j’ai opposé ton cœur, ta pureté sans tache ; je t’ai conduite à travers des peines cruelles ; tu as vaincu, tu as vaincu à chaque épreuve. Ginevra va s’agenouiller devant toi dans la poussière, et l’Angleterre retentira de tes louanges. Es-tu irritée contre moi qui t’ai donné une gloire si haute ?

GINEVRA.

Griseldis, il dit vrai. Et pourquoi le nier ? une part de la faute pèse sur moi. Ce qu’il a fait, c’est nous qui l’avons imaginé. A nous le remords, à toi la victoire. Donc, librement, selon notre promesse, nous déclarons, en présence de la chevalerie anglaise, que l’éclat de la couronne pâlit devant ta vertu, et que, si tout était réglé dans ce monde d’après le mérite et le droit, c’est toi qui serais souveraine, c’est toi qui porterais la couronne d’Angleterre. Me voici à genoux devant toi ; pardonne-nous les maux dont t’a frappée un criminel orgueil.

PERCEVAL.

Elle est à genoux ! criez-le aux quatre vents. La reine est à genoux aux pieds de la fille du charbonnier !

GRISELDIS.

O reine, levez-vous ! — Écoutez ma prière, et ne pliez pas les genoux devant la fille du charbonnier ! Si la victoire m’appartient, laissez-moi repousser la récompense qu’une tromperie cruelle m’a value au prix de tant de larmes ! Vous croyez entourer ma tête de laurier ; c’est une couronne d’épines que j’ai conquise, car les angoisses mortelles qu’on m’a fait subir étaient moins dures que la peine dont je souffre aujourd’hui… O Perceval, tu as joué avec mon bonheur ! Ce cœur dévoué a été pour toi un objet d’amusement ! Tu n’as pas craint que j’en mourusse ! Tu n’as redouté qu’une chose, c’était qu’ils l’emportassent, sur toi ! Puisse Dieu te pardonner ainsi que je te pardonne ! — Et toi, mon père, la faute dont tu m’accuses est-elle effacée maintenant ? Si l’excès de mon dévouement insensé a élevé jusqu’à Dieu un enfant de la poussière, ai-je suffisamment expié ma folie avec mes larmes, avec les douleurs profondes de mon