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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/229

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babillards. Tandis que la petite Angèle tâchait de faire amitié avec Félise, son aînée prit place à côté de la novice, et lui dit à voix basse : — Ah ! ma chère sœur, quel air résolu ! Notre chère mère a beau dire, il ne sera pas aisé de lui inspirer la vocation.

— La vocation ! répéta la sœur Geneviève, est-ce qu’on ne l’a pas toujours lorsqu’on n’a jamais vu le monde, lorsque, comme vous, ma chère Cécile, comme ma petite Félise, l’on entre ici à l’âge de six ans ?

La pensionnaire secoua la tête et ne répondit pas.

Cécile de Chameroy était une petite personne d’environ douze ans, blonde, fraîche et jolie. Elle portait, comme les autres pensionnaires, une robe d’étamine bleue, qui marquait sa taille déjà assez élevée et d’une grâce parfaite. Ses cheveux, légèrement crépelés et d’une nuance un peu vive, formaient un lourd chignon, qui lui descendait sur la nuque, et que recouvrait imparfaitement une coiffe de pomille ou gaze noire, à barbes rattachées sous le menton. Ses yeux d’un bleu changeant, son nez retroussé, sa bouche épanouie, lui composaient un visage le plus mutin et le plus spirituel du monde. Il était impossible de se figurer cette piquante physionomie sous le voile. La petite Angèle avait, au contraire, des traits calmes et doux, et une expression de sensibilité qui n’appartient pas communément à l’enfance. Les deux sœurs étaient orphelines et destinées au cloître. L’aînée se rappelait vaguement la maison paternelle ; la plus jeune avait été amenée chez les Annonciades en quittant les bras de sa nourrice, et n’avait aucune idée de ce qui existait au-delà des murs du couvent.

Félise, debout devant les genoux de la sœur Geneviève, refusait obstinément de se mêler aux pensionnaires, qui jouaient à colin-maillard sur la terrasse, et l’agaçaient en passant avec une familiarité amicale. Chaque fois que l’une d’entre elles lui prenait brusquement la main ou la saisissait en riant par le coin de son tablier, elle se retournait, toute fâchée et honteuse, vers la sœur Geneviève, et se cachait le visage d’un air boudeur.

— Voyons ! il faut que je tâche de l’apprivoiser, cette petite sauvage ! dit Cécile de Chameroy ; avec votre permission, sœur Geneviève, je vais la mener à Bethléem voir le saint enfant Jésus.

— Oui, partons, partons tout de suite ! s’écria naïvement Félise en remettant sa capeline et en prenant d’elle-même la main de la petite Angèle.

La sœur Geneviève passa son bras sous celui de Cécile, et murmura en soupirant : — La pauvre enfant se figure que nous allons l’emmener bien loin.

Elles traversèrent le parterre et prirent un des sentiers qui s’égaraient entre les bosquets. Cette partie du jardin avait un certain air agreste. Les rameaux parasites du lierre rampaient au tronc des ormes séculaires,