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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/28

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Et pour toi ; ô mon enfant !
Je cueille des formes et des songes.

O mon enfant,
Aux esprits d’en haut,
Aux esprits d’en bas,
J’emprunte pour toi
Des mélodies et des sons,
Des rayons et des ombres,
Pour que ton père puisse enfin t’aimer.

Tu vois, mon père, je te répète tout, et mot à mot, ce qu’elle m’a dit.

LE PÈRE, s’appuyant contre une colonne du tombeau.

O Marie, tu veux donc perdre ton propre enfant !… tu veux donc m’affliger de deux tombes !… Que dis-je ? elle est quelque part dans le ciel, tranquille et calme. Cet enfant a rêvé.

L’ENFANT.

Maintenant j’entends sa voix ;… mais je ne la vois pas.

LE PÈRE.

De quel côté entends-tu cette voix ?

L’ENFANT.

Du côté de ces deux cyprès sur lesquels tombent les rayons du soleil couchant.

Je donnerai à tes lèvres
Et la force et la douceur ;
J’entourerai ton front
D’un nimbe de lumière,
Et avec mon amour de mère,
J’éveillerai dans ton ame
Tout ce que les hommes sur la terre,
Et les anges dans le ciel,
Ont appelé beauté,
Afin que ton père, ô mon fils !
T’aime toujours.

LE PÈRE.

Est-il possible que les dernières pensées d’un mourant le suivent dans l’éternité ! Y a-t-il des esprits bienheureux (car, certes, elle est sainte), y a-t-il des esprits bienheureux et atteints de folie ?

L’ENFANT.

La voix de maman s’affaiblit et se perd derrière le mur du cimetière… Là, là-bas elle répète encore :

Afin que ton père, ô mon fils !
T’aime toujours.
LE PÈRE.

Mon Dieu ! aurais-tu, dans ta colère, prédestiné notre enfant à la folie et à une mort prématurée ? Mon Dieu ! aie pitié de lui, n’ôte point la raison à ta faible créature, ne délaisse pas ce sanctuaire que tu as bâti pour toi-même, Prends