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renouvelait les couches de chaux blanche servant de tapisserie aux trois chambres dont se composait l’appartement. La commandante, debout au milieu de trois ou quatre servantes, jetait elle-même l’eau à pleins seaux sur les briques assez mal jointes du parquet, que ses aides frottaient à tour de bras. Notre arrivée soudaine produisit l’effet d’une pierre jetée dans une fourmilière : des cris, des exclamations, des excuses sur ce qu’on n’était pas prêt, partirent de tous côtés. La signora s’élança sur un âne, et, deux heures après, sa monture nous revint chargée de matelas, de draps, de coussins. Une batterie de cuisine complète et un dîné tout préparé accompagnaient cet envoi, que nous accueillîmes avec un plaisir facile à comprendre. Dans l’intervalle, nous avions commencé à débarquer instrumens et bocaux. Séparés du rivage par un grand enclos, nous avions un assez long détour à faire pour arriver à notre barque. Le commandant reconnut lui-même que ce pouvait être pour nous un véritable inconvénient, et fit aussitôt abattre un pan de mur pour nous ouvrir un passage direct à travers sa vigne. Ce n’était, il est vrai, qu’un mur en pierres sèches qu’on rétablissait tant bien que mal chaque soir ; mais combien trouverait-on parmi nous de propriétaires disposés à agir ainsi pour éviter à un hôte la peine de faire quelques pas de plus ?

Il ne faut pourtant pas croire que cette façon d’agir si large, si seigneuriale en apparence, fût complètement désintéressée. Si les Siciliens à qui nous avions affaire se mettaient à notre disposition per l’onore, ils comptaient bien un peu sur un complimente de notre part, en d’autres termes, sur un cadeau. Dans ces contrées où sont encore loin d’avoir pénétré tous les usages de la civilisation moderne, où on ne rencontre pas même les posadas espagnoles, l’étranger reçoit, il est vrai, l’hospitalité antique, mais avec son échange de présens. Celui qui accueille compte sur du retour, et trouve fort mauvais que sous ce rapport on manque aux usages reçus. Nous eûmes occasion de reconnaître ce fait à notre départ de Favignana. Croyant voyager en Sicile à peu près comme en France, nous n’avions pas emporté d’objets propres à être offerts en souvenir. A la Torre, à Castellammare, nous nous étions tirés d’affaire avec de l’argent, qui avait été parfaitement reçu du padre Antonino et de l’ami d’Artese ; mais nous n’aurions pas osé traiter de la même manière les signori de Favignana. Nous les quittâmes donc après des remerciemens purement verbaux, et, au moment des adieux, le commandant di Greorgio ne cacha nullement la mauvaise humeur qu’il éprouvait à voir notre reconnaissance s’exprimer par de simples paroles. Au reste, il a pu reconnaître depuis que nous n’étions ni oublieux ni ingrats.

Quoi qu’il en soit, grace à l’hospitalité favignanaise, nous fûmes promptement en mesure de commencer nos recherches dans ce petit