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de longues perches. Les navigateurs du nord de la. Chine ne se servent que de voiles carrées, en tissu de coton de couleur sombre.

Pour donner une idée complète de cet étrange quartier de Canton, dont les bateaux forment les rues, il faut décrire chaque rive du fleuve à part. La rive gauche et septentrionale est bordée, à l’entrée des faubourgs, de maisonnettes en bambous, bâties sur pilotis et d’assez chétive apparence. En continuant à remonter le fleuve, on ne tarde pas à apercevoir deux îlots connus sous le nom de Folie française et de Folie hollandaise. Plus loin, au-dessus des factoreries, on voit flotter les pavillons de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Amérique. On avance encore, et on se trouve devant les bateaux de jeux, qui alignent en longue file leurs devantures sculptées. Aux bateaux de jeux succèdent les bateaux de fleurs, sanctuaires de toutes les voluptés asiatiques ; puis viennent les bateaux de mendians et de lépreux, isolés de tous les autres. Le fort de Cha-min s’élève non loin de là, toujours sur la rive gauche, que nous n’avons pas encore quittée. Si l’on se rapproche de ce fort, on découvre d’abord quelques misérables cabanes à moitié démolies, construites sur pilotis au milieu de l’eau, et formées de perches de bambou recouvertes çà et là de quelques nattes. Ces cabanes sont presque sans toit, et servent de prisons temporaires à des criminels qui y sont exposés à la pluie et au vent. En longeant la ville et le fort, on traverse le quartier Chamin, construit sur la rivière, et habité par une population grossière et impertinente. Là les femmes et les enfans vous crient sans cesse : Fan-kouaï (diable étranger), en faisant signe qu’on devrait vous couper le cou, ce qui ne les empêche pas de tendre la main pour recevoir des sapeks[1]. Ce triste quartier est, du côté du nord, le dernier empiètement de la ville sur la rivière. Au-delà de ce faubourg, on se retrouve en pleine campagne. De nombreux bosquets, des allées de saules, de jolies maisons de campagne, varient agréablement le paysage. Les deux rives présentent une végétation également riche et pittoresque. L’aspect du fleuve est animé. De nombreuses embarcations apportent les produits de l’intérieur à la grande cité, où elles viennent, à leur tour, se pourvoir des précieux articles fournis par le commerce étranger. D’immenses trains de flottage descendent sans cesse la rivière avec leurs chargemens de bambous et d’autres bois de construction.

Tel est l’aspect qu’offre la rive gauche du Tcho-kiang. Si on longe de préférence la rive d’Honan, c’est-à-dire la rive droite et méridionale, on rencontre d’abord une grande et belle pagode boudhiste. On ne tarde pas à passer devant un large canal perpendiculaire au fleuve, et dont l’entrée est défendue par un fort : c’est le canal intérieur qui mène à Macao. Les grandes embarcations prennent rarement cette route, où elles sont exposées à de fréquens échouages. Le canal traverse, dit-on, un pays très peuplé, très fertile et parfaitement cultivé. On rencontre, avant d’arriver à Macao, l’île de San-Chan, dont les Européens ont fait l’île Saint-Jean. Ce fut là que les Portugais fondèrent leur premier établissement ; c’est là aussi qu’est enterré saint François-Xavier. Les étrangers étaient forcés, il y a peu de temps encore, de se munir d’une permission des autorités chinoises pour se rendre à Macao par ce canal. Aujourd’hui ils y circulent librement. — Un mille au-delà de ce canal intérieur, on passe devant un autre canal

  1. Monnaie de cuivre du pays.