Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de gros pamplemousses et de petits cochons rôtis, comme chez nous on offre des dragées et des oranges. Les mendians se barbouillent la figure de blanc et de noir ; quelquefois même ils simulent sur leurs traits ensanglantés des plaies profondes. D’autres remontent par-dessus leur tête la misérable natte trouée qui les enveloppe. Une grande foire se tient alors dans le fond de la rue Ta-toung-kaï. On y trouve de charmans objets de curiosité, des bronzes, des jades, des laques, des épées formées d’anciennes pièces de monnaie liées les unes aux autres, des peintures fantastiques, des tablettes de marbre, des meubles précieux. Tout cela se vend trois ou quatre fois moins cher que dans les boutiques. Il parait que la plupart de ces objets sont mis à l’encan, soit par des personnes gênées pour le règlement de leurs comptes (ces règlemens se font toujours au nouvel an), soit par de riches chinois, qui craindraient de passer pour gens de mauvais ton, s’ils gardaient pendant plus d’une année certains ornemens dans leurs habitations.

La veille du nouvel an, on tire des pétards dans toutes les rues. La circulation y devient extrêmement difficile ; mais, le jour même qui commence l’année, le calme se rétablit, et la foule est moins épaisse. Chacun s’est revêtu de ses plus beaux habits ; les gens du peuple s’en font généralement faire de nouveaux pour cette époque. On rencontre beaucoup de hauts fonctionnaires en chaise à porteur et en grande tenue, qui vont visiter leurs amis. — C’est la vingt-cinquième année du règne de l’empereur Tao-kouang que nous vîmes commencer à Canton. La plupart des Chinois avec qui nous étions en relations nous envoyèrent de grandes cartes de visite rouges avec leurs noms écrits en noir. Quelques-uns vinrent en personne nous adresser leurs vœux et nous présenter leurs hommages.

Nous vîmes célébrer à Canton, au commencement de septembre 1845, une autre fête non moins intéressante : celle de Taï-tséou ou du dieu protecteur des maisons. Quelques rues avaient été tendues plusieurs jours à l’avance de draperies rouges, jaunes, bleues et blanches qui interceptaient complètement les rayons du soleil. On avait disposé d’une maison à l’autre, à environ trois mètres de terre, des planches transversales chargées de dieux, de déesses, de saints et de héros en carton. La plupart de ces groupes de statuettes figuraient des combats à coups de lance et à coups d’épée, ce qui nous parut une manière assez bizarre d’honorer un dieu essentiellement pacifique, le dieu protecteur des maisons et des familles. De distance en distance étaient suspendus de beaux lustres à girandoles. A l’entrée des rues et des passages, on avait élevé des autels en carton, ornés de fleurs, de peintures et de clinquant. La halle aux poissons et aux légumes, située entre Old-China-street et une petite pagode qui fait face à ce passage, était méconnaissable. Avec un très grand nombre de panneaux de carton, chargés de peintures qui se rapportaient, on avait réussi à construire un temple provisoire. Ce frôle édifice était décoré de statuettes et de tableaux représentant des déesses que le peintre avait couronnées d’une auréole en s’inspirant sans doute de quelque image de saint catholique. De brillantes illuminations, de nombreux sing-song exécutés sur des théâtres improvisés à l’entrée des rues et des passages, tels furent les principaux divertissemens de la fête. Ce qui ôtait à cette solennité un peu de sa gravité religieuse, c’étaient les statuettes de dieux et de héros mises en mouvement par les rats qui s’y trouvaient renfermés. C’était, aussi l’infernal vacarme de la musique chinoise. La composition des orchestres