Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différente, présente encore cette vive opposition qui les distinguait en face de l’ennemi. Tous deux ont contribué à rétablir sur un trône chancelant un pouvoir qui voulut s’affermir par d’inutiles rigueurs : garans d’une capitulation militaire, ils ont tous deux encouru les mêmes reproches et subi au sein du parlement le même blâme injurieux. L’analogie des situations ne saurait être plus complète ; mais, dans cette épreuve où la gloire de Nelson a été ternie par l’emportement d’un zèle aveugle et fanatique, c’est par l’inertie d’une raison calme et impassible que celle de lord Wellington s’est trouvée compromise. Ces deux hommes ont suivi la pente de leur nature dans ces événemens à jamais regrettables. L’un y a souillé sa victoire ; l’autre a négligé d’y purifier la sienne.

Également funestes à la grandeur de notre pays, l’amiral illustre, le général heureux, appellent au même titre nos méditations : c’est notre droit d’étudier le principe de leurs succès, les causes et les divers mobiles de leur conduite, notre devoir de porter dans cet examen les sentimens qu’un galant homme ne refuse pas à un adversaire dont il a éprouvé le courage. Avant de juger ces deux gloires ennemies, il nous faut donc chercher les élémens d’un jugement équitable. Si ces élémens peuvent se rencontrer quelque part dégagés de toute altération étrangère, c’est surtout dans ces publications, trop peu communes en France, où tout ce qui reste d’un grand personnage, — ses lettres, ses dépêches, souvent même ses effusions les plus intimes, — est livré sans réserve et sans voile aux regards de la postérité. La correspondance de lord Wellington, sa correspondance officielle, a été publiée à Londres il y a quelques années, et appréciée avec un rare talent dans cette Revue même[1]. La correspondance officielle et privée de lord Nelson, déjà connue en partie par les nombreux extraits qu’en avaient donnés ses biographes, vient d’être rassemblée de nouveau. Enrichi de documens jusqu’à ce jour inédits, ce recueil ne saurait présenter cependant l’intérêt politique qui s’attache aux dépêches du commandant en chef des armées de la Péninsule, mais il ouvre un vaste champ d’études aux hommes qui veulent trouver dans l’histoire de nos revers le moyen d’en prévenir le retour. C’est qu’en effet, ces nombreuses dépêches écrites le lendemain ou la veille d’une victoire, ces révélations familières qui les complètent, ne nous retracent point seulement d’un crayon plus fidèle la physionomie d’un héros, et ce travail intérieur d’où est sorti le vainqueur du Nil ; elles nous permettent aussi, — c’est là ce qui constitue, à nos yeux, leur véritable importance, — de suivre pas à pas le lent développement de cette pensée plus affermie chaque jour, qui, s’autorisant du triste état de notre marine, s’affranchit peu à peu des traditions de

  1. Voyez la livraison de la Revue du 15 septembre 1839.