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chemin, par lequel il parvint jusqu’au cœur de nos flottes, reste ouvert à ses successeurs : c’est à nous de le rendre impraticable.


II.

Peu d’éducations maritimes ont commencé plus tôt que celle de Nelson. Fils d’un pasteur du comté de Norfolk, il avait à peine atteint l’âge de douze ans, quand il quitta le collége de Norwich pour suivre son oncle maternel, le capitaine Suckling, à bord du vaisseau le Raisonnable. Ses études littéraires furent ainsi brusquement interrompues ; mais celles de la plupart des officiers anglais qui ont fait contre nous la dernière guerre n’ont pas été plus complètes. Avec un pareil système, on ne faisait peut-être pas de grands clercs ; mais, ce qui valait mieux, on faisait de bons marins, et l’on pliait de bonne heure ces jeunes esprits aux rudes épreuves d’une vie d’exception et aux salutaires habitudes de l’obéissance passive. Notre siècle est plus exigeant, et l’on ne saurait aujourd’hui, sans de grands inconvéniens, condamner à une pareille infériorité tout un corps d’officiers, souvent appelés à remplir les missions les plus délicates ; mais il serait certainement possible de faire gagner à nos jeunes élèves deux ou trois années de mer en simplifiant pour eux l’étude des sciences exactes et en la dirigeant surtout, comme le font les Anglais, vers une application pratique. Ce serait déjà avoir réalisé un grand progrès, car on ne saurait commencer trop tôt le métier de la mer. La vie maritime demande des natures souples et dociles, et un trop lourd bagage scientifique au début d’une carrière où il y a tant à acquérir sur le terrain, tant à apprendre de l’expérience des autres, pourrait bien se trouver plus embarrassant qu’utile. Nelson, dont l’opinion a sans doute quelque valeur en pareille matière, disait souvent qu’on ne pouvait être un bon officier sans posséder à la fois les connaissances pratiques d’un matelot et les manières d’un gentleman. Aussi, quand on l’interrogeait à cet égard, il recommandait (on s’en étonnera peut-être) pour les jeunes gens destinés à la marine, après l’étude de la navigation et de la langue française, les leçons du maître de danse[1]. Jusqu’à quel point il avait mis pour son propre compte ce dernier conseil en pratique, c’est ce que nous n’avons pu découvrir ; mais il est certain que, dès que la paix de 1783 eut rouvert aux Anglais l’accès du continent, il s’empressa de se rendre en France pour y apprendre une langue dont il déclarait la connaissance indispensable aux officiers de la marine britannique. Quant aux détails les plus subtils de sa profession, personne ne les possédait mieux que lui, et il leur assignait

  1. Dancing is au accomplishment that prohahly a sea officer may require. (To the Ear1 of Cork. Portsmouth, July 22nd, 1787.)