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que celle des officiers qui, sous d’Estaing, sous Guichen, sous Suffren et d’Orvilliers, avaient appris à manœuvrer des vaisseaux et à diriger des escadres. Ceux de ces officiers qui n’émigrèrent pas furent emprisonnés on tombèrent sous la hache de la guillotine. Cette marine si glorieuse, si dévouée, si redoutable aux ennemis de la France, sembla disparaître tout entière dans une seule année de terreur. Ce qu’un gouvernement régulier n’eût point réussi à accomplir, un gouvernement nouveau, obligé de faire face à l’Europe, dut songer à l’entreprendre. Aux prises avec la guerre civile, avec la famine, avec la désorganisation des esprits, il fallut qu’il s’occupât de combler cette brèche énorme par laquelle l’ennemi devait pénétrer, et de faire surgir des rangs les plus infimes de la flotte des officiers et des commandans pour ces vaisseaux abandonnés et ce matériel devenu inutile. Cependant la guerre était active et pressante ; pour faire vivre le peuple, il était nécessaire d’assurer la rentrée des convois de blé attendus d’Amérique. Le salut de la révolution exigeait qu’on tînt des escadres à la mer, et il fallait réaliser, avec la rapidité propre à cette époque, de toutes les choses du monde celle qui demande le plus de temps et de méthode, celle qui s’accommode le moins de la précipitation et du désordre : la reconstitution d’une grande marine. La convention n’hésita point : elle poussa ses escadres dehors avec ce personnel novice, décréta l’activité dans nos arsenaux, l’héroïsme sur nos vaisseaux, comme elle venait de décréter la victoire aux frontières, et, tant l’enthousiasme a de puissance, même dans les choses qui semblent le plus échapper à son empire, peu s’en fallut qu’elle ne surprît, en cette journée mémorable connue sous le nom de combat du 13 prairial, à cet amiral vétéran qui avait tenu le comte d’Estaing en échec et à ces vaisseaux anglais régulièrement armés et commandés par des officiers expérimentés, un triomphe qui eût peut-être donné une direction bien différente à la guerre. L’amiral Villaret-Joyeuse, en cette occasion, combattit pendant trois jours dans le golfe de Gascogne la flotte de lord Howe, composée de 25 vaisseaux, et, bien qu’il eût perdu 7 vaisseaux dans le dernier engagement qui eut lieu le 1er juin 1794, la flotte anglaise, aussi maltraitée que la nôtre, n’essaya pas de pousser plus loin ses avantages. Le convoi d’Amérique entra dans Brest peu de jours après cette action malheureuse, et la république, sauvée d’une disette imminente, put en rendre grace aux vaisseaux que lui avait légués l’infortuné Louis XVI.

Déjà ce magnifique héritage avait reçu une fatale atteinte. Ivre de terreur, en apprenant l’entrée du général Carteaux à Marseille, Toulon s’était jeté, le 28 août 1793, dans les bras de l’Angleterre, et avait livré ses forts, sa rade et ses vaisseaux à la flotte de lord Hood. Par suite de cette funeste résolution, les Anglais se trouvèrent sans combat en possession de 31 vaisseaux et de 15 frégates. Lord Hood les reçut en dépôt